Claude NICOLET

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Il est probable que depuis quelques temps, la France traverse l'un de ces moments où apparaissent plus clairement les lignes de fractures que libèrent des forces trop longtemps contenues.

Ce n'est pas tant Macron qui a mis fin à "l'ancien monde" que ce dernier qui a pris congé, ayant mis un terme à son parcours historique.

L'élection d'Emmanuel Macron est révélatrice de ces phénomènes et son intelligence fut de comprendre le "moment" dans lequel nous sommes plongés. Il a compris que l'affirmation de l'explosion du clivage droite-gauche n'était pas de son fait, mais tout simplement la conséquence de la magnifique continuité, poursuivie avec constance et assiduité par les deux grands partis qui ont fait la vie politique de ces trente dernières années. En mettant globalement en œuvre des politiques publiques et surtout un discours sur la France qui se nourrissait de l’impuissance à "changer la vie" face aux forces de la mondialisation et de la globalisation financière, ils ont désespérément fait fuir leur électorat vers le Front national et dans l'abstention, provoquant du même coup leur inévitable épuisement. Ce n'est pas tant lui-même qui a mis fin à "l'ancien monde" que ce dernier qui a pris congé, ayant mis un terme à son parcours historique.

La perspective européenne, miraculeuse opportunité, a pu se substituer à la question sociale et la mondialisation se substituant à la question nationale, donc à celle de la souveraineté populaire, l'ancien monde a survécu, essayant de croire et de nous faire croire à toute force, au dépassement de ces deux éléments essentiels à la dialectique républicaine. Cette dialectique présente dès les origines et qui fonde la promesse républicaine et sa puissance. Il suffit de se replonger dans les grandes querelles de notre histoire issue de la Révolution française.
Cette croyance du dépassement de cette dialectique, au  nom d'une modernité qui se travestissait sous les oripeaux du néolibéralisme, a permis de noyer dans un halo de moralisme et de bonnes intentions (l'Europe c'est la paix, les Nations c'est la guerre), la réalité de ce qui fait les relations internationales et qui exige donc la conscience de soi-même. Or "si je pense parce que je suis"; je ne suis également qu’à la condition de persévérer dans mon être." On m'excusera la facilité de l'image et la synthèse philosophique aléatoire, mais il y a des antagonismes qu'on ne peut résoudre facilement. Pas d'existence sans substance, pas de liberté sans volonté. Pas d'identité sans conscience de soi. Or la République est tout sauf un régime d'abandon et de tolérance. C'est une exigence qui ne peut se satisfaire "d'accommodements raisonnables." Ces derniers sont le poison destiné à la faire mourir, à en transformer lentement mais sûrement la nature même. C'est l'une des raisons profondes de l'angoisse existentielle des Français. Ils ressentent parfaitement qu'un projet, minoritaire pour le moment, se déploie dans notre pays visant à renverser l'idée républicaine. Une bonne partie des "élites mondialisés" n'y vois guère d'inconvénient pendant que le reste du pays se fracture au niveau social et territorial.

Nous savons tous aujourd'hui, que la question européenne joue un rôle essentiel dans cette situation. La nature de notre relation avec la construction européenne doit être totalement repensée.

La République sociale, laïque une et indivisible, consubstantielle à l'idée que nous nous faisons de la Nation n'est pas compatible avec ce qu'est devenue la construction européenne.

Il faut le dire simplement, la République sociale, laïque une et indivisible, consubstantielle à l'idée que nous nous faisons de la Nation n'est pas compatible avec ce qu'est devenue la construction européenne. Le Président Macron a bâti une partie de sa campagne sur la reconquête de la souveraineté nationale. Dans son discours de la Sorbonne il parle de "souveraineté européenne" mais sans la définir. Ce flou ne peut se poursuivre. Certes la crise allemande peut s'apparenter à une "ruse de l'histoire" mais ne saurait servir de viatique à la "renaissance française" à laquelle nous aspirons. Il faut surtout à mon sens parler de République et de vision de la France à partir de ce que nous sommes et de ce qui nous structure en tant que peuple. Nous ne devons pas concevoir notre redressement sur l'échec où l'abaissement de nos voisins ou partenaires, mais d'abord et avant tout à partir de nous-mêmes.

C'était le sens de la campagne présidentielle de Jean-Pierre Chevènement en 2002 et de sa formule, brocardée à l'époque parce qu’elle frappait juste, "la gauche a abandonné le peuple et la droite a abandonné la nation et au-dessus de la droite et de la gauche, il y a la République." Nous disions que nous nous adressions "aux républicains des deux rives." Il fallait surtout comprendre qu'au-delà de nos divergences au regard de ce qu'étaient devenues la droite et la gauche, nous avions le fleuve en partage, c'est à dire la République et la Nation. A l'heure de ces immenses difficultés, à l'heure de la structuration de nouveaux clivages, il est indispensable de réfléchir à ce que nous avons en commun, en partage. Ce "moment républicain" pour reprendre l'intitulé du dernier colloque de la fondation ResPublica est aujourd'hui nécessaire. Il est donc nécessaire de "refonder", mais surtout de se préoccuper de l'état du fleuve qui ne sait plus où il va.

Si le président Macron se contente d'une synthèse allant de Giscard à Strauss-Kahn, il ne sera sûrement un Louis-Philippe.

Nous avions tenté à l'époque et devant l'Histoire, la synthèse de Péguy, de Jaurès et de Clemenceau sans oublier de Gaulle. Nous pensions que cette hauteur de vue était indispensable face aux défis à relever. Je le pense encore. Si le président Macron se contente d'une synthèse allant de Giscard à Strauss-Kahn en pariant sur l'affaiblissement structurel du Front national, il ne sera certainement pas un Napoléon III, encore moins un Chevènement qui aurait réussi, mais plus sûrement un Louis-Philippe. Or, l'heure de la refondation républicaine est probablement venue et on mesure, quinze ans plus tard, à l'heure des communautarismes triomphants, des revendications religieuses, de la remise en cause de la laïcité, des ethno-régionalismes conquérants, de la désespérance de la France, de la chasse aux pauvres, aux chômeurs et de leur stigmatisation...on mesure à quel point cette vision que nous avons essayé de porter était juste. Incontestablement c'était une gageure, peut-être même un pari impossible. Que nous eussions réussi et le destin du pays en eut été probablement transformé alors qu'on commence à mesurer l'ampleur du "malheur français", l'état de relégation de la "France périphérique" et l'étendue de "l'insécurité culturelle".

Ce sont aujourd'hui des questions centrales, déterminantes qui se posent à nous. Sauf que cette perspective ne va pas sans contradictions toutes entières contenues dans la formule "en même temps", notamment sur la question nationale et sur la question sociale.

Ces contradictions doivent être l'objet d'un véritable débat car elles sont le résultat de ces trente dernières années. 1983 restant une date incontournable. Des réponses qui seront apportées à ces contradictions, dépendra notre avenir collectif, celui de la France et celui du peuple français en tant que nation. Il faut voir les choses de haut et nous placer en dynamique.

Il faut également dire que ces questions s'adressent à l'ensemble des forces politiques de notre pays. Les Français en ont assez des leçons de morale et ce n'est que par la mise en œuvre de perspectives politiques dignes de nous et de notre histoire, que nous parviendrons à reprendre le fil de notre destin et la main sur celui-ci. Parce que notre pays traverse une crise politique majeure où se synthétise une série de difficultés de première importance. Crise de la citoyenneté, crise sociale, crise identitaire et culturelle, crise de confiance dans ses institutions et ses élites, crise politique. Les fausses querelles qui ne sont plus qu'un théâtre d'ombre nous épuisent, nous exaspèrent, nous dépriment et nous condamnent à l'impuissance.

La crise du politique débouche inexorablement sur la crise de la République donc de la France.

La France ne peut exister qu'à la condition de se projeter dans un imaginaire qui participe de son identité même. La crise du politique débouche inexorablement sur la crise de la République donc de la France. La République étant cette forme et ce projet, si original, que le peuple français, dans son génie propre est parvenu à forger avec l'expérience si singulière qui est la sienne, de trouver une stabilité et une organisation sociale, politique et culturelle qui lui a permis de "faire descendre Dieu sur terre" afin de "faire France" après que nous eussions décidé que la souveraineté soit toute entière  détenue par le peuple, lui-même composé des Citoyens. La remise en cause, chaque jour, de la souveraineté nationale et populaire mine également en profondeur la nature même de nos institutions et la confiance dans nos élus. A quoi tout cela sert-il puisque fondamentalement ils ne décident de rien ?

L'immensité des défis auxquels nous sommes confrontés doit nous amener à une réflexion de fond sur l'avenir de notre pays qui est confronté à de réels dangers. La menace extérieure et terroriste mais également la menace intérieure. Clairement une partie de la population est en marge voire en sécession sur des bases identitaires et parfois ethno-religieuses, les irrédentismes régionalistes sont à la manœuvre, la misère économique, sociale et culturelle dont "la France périphérique" est l'illustration, gangrènent le pacte républicain dont la promesse de liberté, d'égalité et de fraternité s’apparente aujourd'hui à une vaste tartuferie. C'est de tout cela dont il faut aujourd'hui parler avec nos concitoyens.

 

Claude NICOLET

Ancien adjoint au Maire de Dunkerque
Ancien conseiller régional Nord Pas de Calais
Premier secrétaire de la fédération du Nord du MRC