Claude NICOLET

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Dunkerque_1940Ce soir lundi 19 décembre, à 18h30, sera présenté au Musée portuaire de Dunkerque, le livre "Dunkerque-ville-mémoire". Ecrit par Alexandre Dessingué, professeur d'histoire à l'université de Stavenger en Norvège et Olivier Ryckebusch archiviste à la ville de Dunkerque. Livre sur la bataille de Dunkerque qui se déroula fin mai début juin 1940, ce travail s'inscrit dans une nouvelle lecture de l'historiographie sur la seconde guerre mondiale. Mais que nous dit, à travers le temps, cette page sanglante de notre histoire? De nous même et de notre pays?

 

Dans la Voix du Nord datée du 18 décembre, les auteurs insistent sur la dimenssion de cet évènement. "Dunkerque porte en elle la violence du XXème siècle et c'est passé sous silence." Et plus loin: "C'est incroyable qu'un évènement mondial se soit déroulé ici et que rien ne lui soit lié aujourd'hui". Ils ont raison.

Certes il y a le travail remarquable de l'équipe du Bastion 32, mais est-ce suffisant? Non. Je ne peux m'empêcher de me souvenir lors d'un séjour au Koweit, de voir à la télévision un reportage sur la bataille de Dunkerque. Quelques heures plus tard, je discutais avec l'un des responsables de l'industrie pétrolière du pays, notre conversation a également porté sur l'opération Dynamo! Et encore il ne s'agit là que de quelques exemples.

Il y a d'abord les faits, eux mêmes sujets à interprétation. Symbole de l'effondrement national, de la débâcle et de l'écrasement de l'armée française, considérée jusqu'alors comme la plus puissante du monde, Dunkerque est un moment de stupeur et d'effroi qui a cristalisé ce moment où la France aurait pu disparaitre.

Mais c'est aussi une bataille d'une violence inouïe que les Allemands veulent "d'anéantissement". De nouvelles recherches mettent en avant l'héroïsme et le courage de nos soldats. L'armée française se sacrifiant littéralement pour permettre le réembarquement de plus de 320 000 hommes. Ce faisant elle affichait un très haut niveau de moral et de volonté de se battre.

Faisant appel à ses plus hautes traditions de sacrifice. Ce qui me remet en mémoire une conversation avec le général Gallois qui fut le père de la dissuation française et pour lequel mai-juin 40 ne devait en aucun cas se renouveler. Il avait combattu dans le ciel de Dunkerque. A une question sur cette période il me répondait que les Français étaient trop mal organisés pour l'emporter. Un peu interrogatif je poursuivais mon questionnement. Il eut cette réponse définitive: "Les Français ne savent pas faire la guerre, mais ils savent mourir". Voilà une réponse qui vous cloue le bec et vous fouette les sangs.

C'est en effet ce qu'ils firent. Ils tombèrent par milliers, livrant un combat acharné pour sauver l'armée britannique et une partie de l'armée française. Les pertes de l'armée allemande furent telles que l'invasion terrestre de l'Angleterre devint impossible. Sait-on que la moitié des Panzer-divisions furent détruites ou mise hors de combat pendant la campagne de France. Que le taux d'usure des divisions blindées et d'infanteries de la Werhmacht était tellement important devant Dunkerque qu'il fallut faire monter les réserves? Les hommes avaient en eux la ressource de se battre et de se dresser. 

C'était l'illustration d'une farouche détermination. Les soldats, les sous-officiers, les officiers s'ils sont partis en septembre 1939 sans aucun enthousiasme, n'en étaient pas moins déterminés à "en finir". Chacun savait hélas la guerre inévitable. Le malaise, le doute, étaient ailleurs. Ils se trouvaient dans une crise profonde de la Nation. De nouvelles recherches comme celles d' Annie Lacroix-Riz, le montrent abondamment en particulier dans son livre Le choix de la défaite, les élites françaises dans les années 30, chez Armand Collin. Ou encore celui de Gérard Chauvy: Le drame de l'Armée Française, du Front populaire à Vichy, aux éditions Pygmalion.

Des élites incertaines, doutant de la France et de la République voulant parfois l'abattre, certaines préférant Hitler à Léon Blum. Une société française travaillée de l'intérieur par les intérêts étrangers...La volonté d'une minorité de prendre une revanche politique et historique sur la Révolution française. En mai-juin 40 la France aurait pu disparaitre. Mais Dunkerque fut incontestabement un tournant dans l'histoire du monde. Même si "on ne gagne pas des guerres avec des réembarquements" comme l'a dit Churchill, cette bataille est largement célébrée en Grande Bretagne et  a même donné naissance à une expression: le  "Dunkirk Spirit". De ce côté de la Mer du Nord, le rapport est en effet différent. Il est aussi l'illustration de notre rapport à cette période de notre histoire et in fine à la Nation.

Dunkerque ville-martyre, "qui a bien méritée de la patrie en 14-18 et en 39-45. Ville reconstruite, ville mémoire, elle est à la croisée de notre histoire et de l'idée que nous nous faisons de nous même. Pour ces raisons il me semble en effet essentiel de donner à cet évènement toute la place qui lui revient désormais.