Claude NICOLET

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Bataille de DunkerqueL’annonce du tournage de « Dunkirk » (Dunkerque) dans les mois à venir par Christopher Nolan est une excellente nouvelle. Si ce film est annoncé comme hors norme, il s’inscrit cependant dans une tradition déjà longue de tournage sur notre littoral et renforce cette discrète mais réelle et intense histoire d’amour entre Dunkerque et le cinéma. Je ne peux passer sous silence cette extraordinaire aventure que furent les « Rencontres cinématographiques de Dunkerque » qui devinrent le « festival du film de Dunkerque », portés par les passionnés de la MJC Terre Neuve et du Studio 43. De là une multitude de tournages avec quelques chefs d’œuvres à la clef.

Plusieurs raisons pour nous féliciter. Tout d’abord, pour la plus immédiate, les retombées économiques que cela va représenter, comme pour toute activité de ce genre. De nombreuses nuits d’hôtels, de la restauration, des prestations de services nombreuses et variées. Notre économie touristique va en profiter, en tirer profit et se développer grâce à l’impact que cela aura dans l’avenir. Il y a en effet fort à parier que si le film rencontre le succès du public, il contribuera à développer un tourisme à la fois des passionnés de cinéma et des passionnés d’histoire et de patrimoine. Il faut le prévoir sur le long terme.

Ensuite, on peut penser que des emplois seront crées. Du figurant pour quelques heures de tournage jusqu’aux techniciens et l’ensemble des secteurs qui fonctionnent avec l’industrie du cinéma, seront probablement sollicités. Car ne l’oublions pas, le cinéma c’est aussi une industrie. Certes les équipes viennent sur place avec leur personnel, leurs techniciens, leurs encadrements mais il est bien souvent nécessaire, voire indispensable de s’appuyer sur les forces vives du territoire sur lequel se déroule le tournage. C’est de ce point de vue une incontestable opportunité.

Sur le moyen terme, là encore c’est une bonne nouvelle. Tout d’abord parce que Christopher Nolan, s’il est tout d’abord un réalisateur d’un immense talent à la réputation internationale, a cette particularité de savoir traiter et mettre en scène des sujets complexes. Ses films comme Inception, Interstellar ainsi que Batman réussissent à faire cohabiter des univers qui se décomposent et s’emboitent tels des poupées russes pour finir par donner sens et cohérence à un ensemble qui peut sembler disparate. Interstellar était particulièrement frappant à ce titre.

Or pour traiter d’un sujet comme celui de l’opération « Dynamo » c’est une excellent chose au regard de la complexité de l’évènement dans la mesure où la bataille de Dunkerque cristallise sur quelques jours, des décennies de crises politiques en France et en Europe. A ce titre elle est une fulgurance qui relève de la tragédie.

Il n’est pas inutile me semble t-il, de relever également que Christopher Nolan est un sujet de sa très Gracieuse Majesté Elisabeth II. Il est donc probable que son approche ne sera pas celle qu’aurait pu avoir un réalisateur américain. Et c’est très certainement parce qu’il est britannique qu’il a souhaité tourner ce film sur l’opération « Dynamo ».

On sait à quel point la bataille de Dunkerque a marqué la Nation britannique. Le « miracle de Dunkerque », le « Dunkirk Spirit », autant d’expressions pour traduire un évènement militaire, stratégique et politique où, en réalité, s’est joué le sort du monde. Illustration terrible du monde au bord du gouffre. L’armée française déjà un genou à terre mais continuant de se battre avec héroïsme, le pouvoir politique et l’Etat en proie à toutes les difficultés, manipulations où la lâcheté le dispute ou courage, mais où l'esprit de la défaite règne déjà hormis de trop rare exceptions. Le pourvoir britannique à deux doigt de céder devant Hitler où quasiment seul à un moment, Churchill, du plus profond de plus même trouve l’énergie, la volonté, la force, l’intelligence et surtout les mots pour galvaniser tout un peuple et lui demander d’accepter les sacrifices qu’exigera la victoire finale dont il ne doute à aucun instant. C’est là notamment un point commun essentiel entre de Gaulle et lui. Ils sont littéralement habités par leur pays respectif.

Imaginons un seul instant les conséquences sur l’issue de la seconde guerre mondiale, si l’armée britannique n’avait pu réembarquer…

Ensuite, nous pouvons penser que ce film, cette superproduction, sera de la dimension de « Stalingrad » (Jean-Jacques Annaud 2001) ou du film de Steven Spielberg « Il faut sauver le soldat Ryan » (1998), ou encore Pearl Harbor de Michael Bay (2001).

Le simple fait qu’il s’appelera « Dunkirk » (Dunkerque) portera un coup de projecteur (sans jeu de mot) mondial sur notre ville. Nous devons nous en réjouir, là encore c’est une magnifique opportunité pour remettre en mémoire ce que fut cet évènement.

Il s’agira d’abord d’une œuvre artistique. Christopher Nolan ne vient par faire un documentaire historique sur « Dynamo » mais un film de cinéma ou l’auteur exprime aussi et avant tout sa vision du monde. Il ne faut pas commettre l’erreur de lui demander de veiller à faire soit une publicité soit une œuvre universitaire.

Mais je vois là aussi et surtout, une grande chance pour nous, citoyens français. Non seulement pour Dunkerque en tant que ville qui bénéficiera d’un formidable tremplin médiatique, mais aussi et surtout pour notre pays. Pourquoi?

Depuis des années, je ne cesse d’écrire ou de dire dans les enceintes qui ont eu la patience de m’écouter, que le sujet de la bataille de Dunkerque devait aujourd’hui être abordé de façon totalement nouvelle.

Sur ce sujet, nous ne devons pas nous satisfaire du trop facile « devoir de mémoire » mais au contraire profiter de cet évènement pour le mettre dans une dynamique historique et analytique que les nouveaux outils de l’historiographie française (et pas uniquement) nous permettent aujourd’hui d’aborder de façon différente.

J’ai déjà eu l’occasion dans d’autres tribunes, d’écrire sur ce sujet. J’ai la faiblesse de penser qu’il est aujourd’hui indispensable de la faire. Je suis de ceux qui pensent depuis longtemps, qu’une grande partie de notre malaise identitaire d’aujourd’hui est étroitement articulé au désastre de mai-juin 40 dont la France ne s’est pas encore totalement remise.

Réinterroger ce passé au regard des archives qui s’ouvrent, des nouveaux travaux historiques pourrait peut-être nous permettre de faire ce travail de reconquête de notre estime nationale indispensable pour « faire France » et porter la République. L’enjeu est de taille et Dunkerque pourrait –si elle le souhaite- être force de proposition.

Le scénario de Nolan sera le sien, la vision qu’il aura de l’évènement sera la sienne, mais rien ne nous empêche, parallèlement au film qui aura sa vie propre, d’utiliser ce formidable évènement pour mettre en place, sur la durée, des colloques, séminaires, manifestations, exposition, en lien avec les historiens, les universités, le monde combattants et ses associations, les chercheurs en Sciences politiques, les philosophes sur ce passé qui ne passe pas et qui demeure pour une grande part totalement inconnu de nos compatriotes où alors très mal et de façon erronée.

Si Dunkerque fut une ville martyre et qui a bien mérité de la Patrie, elle peut à nouveau jouer ce rôle essentiel de lien pour la Nation, entre un évènement qui a failli voir sa disparition et qui a joué un rôle majeur dans sa crise identitaire voire existentielle que nous connaissons. Ce travail me paraît urgent et peut contribuer à forger une réponse à cette question qui aujourd’hui nous obsède : qu’est-ce qu’être Français ?

Il faut donc se saisir de cette occasion extraordinaire qui nous est offerte à la fois par le hasard et peut-être la nécessité qu’ont les hommes d’interroger sans cesse leur passé. Réduire ce moment a une opportunité économique et d’image serait passer à côté de ce qu’il peut pleinement représenter. Il peut nous permettre, sur un enjeu profondément historique et politique, de donner à Dunkerque un rôle de premier plan dans cet immense débat qui nous agite et qui doit nous engager pour rétablir ce dialogue avec l’histoire sans lequel il serait vain de prétendre vouloir faire de la politique, donc de comprendre notre pays et de lui tracer une perspective qu’il recherche désespérément et sans laquelle il peut basculer dans le chaos. La mémoire doit céder le pas à l'histoire afin de faire sens.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, il se peut que le cinéma puisse nous aider.

Claude NICOLET