Claude NICOLET

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M. NICOLET, président du RCDP, introduit la séance par l’engagement des collectivités en Palestine, également avec les camps de réfugiés (statut spécial).Il rappelle l’agenda des prochains mois, chargé en raison de l’importance de l’enjeu géopolitique :- 13 septembre : Assemblée Générale de l’ONU à New York : un vote en faveur de la création de l’Etat palestinien est attendu.- 22 octobre : élections municipales palestiniennes. Une mission d’observation internationale est prévue. La mission d’observation de 2005 a attesté du caractère démocratique incontestable des élections d’alors.- Fin janvier 2012 : Assises franco palestiniennes.


M. AL FAHOUM, Ambassadeur et Chef de la Mission de Palestine en France :Les autorités palestiniennes sont dans une période compliquée en raison de ce changement de stratégie visant à faire reconnaître l’Etat palestinien, stratégie adoptée à la suite du mutisme d’Israël. L’ambassadeur souligne l’importance des partenariats franco palestiniens. Avec la demande internationale de reconnaissance de l’Etat, la Palestine est au cœur de l’actualité ; cette démarche ouvre de nouvelles perspectives, pour la paix, et est loin de vouloir isoler Israël. Elle vise à sortir du cycle infernal qui dure depuis 63 ans. Cette initiative accompagne le processus de paix, elle ne s’y oppose pas, au contraire de ce qu’affirme Israël. La construction de l’Etat est d’ailleurs accompagnée par les organisations internationales.

Deux Etats est la seule issue au conflit, dans les frontières de 1967 et avec Jérusalem-est comme capitale, la libération des détenus politiques et le retour des réfugiés. Depuis les accords d’Oslo, la Palestine est un marché pour les entreprises de développement. Avec la reconnaissance de l’Etat, tout changera, des relations bilatérales seront possibles. Tout développement s’accompagne d’un processus politique, les projets ne peuvent se faire sans cohérence politique. La coopération décentralisée est une valeur ajoutée au processus de paix, elle renforce la cohésion sociale et la stabilité. Les collectivités locales sont le moteur de la consolidation des gouvernances, des capacités techniques et institutionnelles. Là où la politique stagne, la coopération décentralisée continue. Les réseaux établis sont une grande force et un modèle. 

L’ambassadeur salue la volonté du RCDP, sans faille malgré les embûches, pour créer des liens de coopération et passer de l’humanitaire au développement. Il salue l’action de Cités Unies France, notamment pour l’organisation des prochaines Assises, encourageant les échanges et l’engagement des collectivités françaises en Palestine. Il salue l’esprit de solidarité qui a permis de préserver l’humanité du peuple palestinien dans ce contexte difficile. C’est maintenant qu’il faut redoubler d’effort pour soutenir la reconnaissance de la Palestine, pour le développement de son peuple et de ses institutions démocratiques en paix et en sécurité.

M. PEAUCELLE, Directeur adjoint d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient au ministère des Affaires étrangères et européennes, se propose d’apporter des éléments de réponse, car la réalité est trop complexe pour répondre clairement à la question de la reconnaissance de l’Etat par la France. Il souligne son intérêt personnel pour le sujet car il a travaillé au Consulat de France à Jérusalem.

À l’époque, la coopération décentralisée franco palestinienne débutait, il fait part de sa grande satisfaction à constater le nombre important de collectivités présentes aujourd’hui. Il partage l’espérance des acteurs présents pour une paix dans la justice.

Réponse en 4 points :

- Sur la France et l’Etat palestinien : il ne peut y avoir de solution sans la création d’un Etat palestinien vivant en paix avec Israël et ses voisins, la politique étrangère française a été constante sur ce point. La France a d’ailleurs été pionnière pour affirmer aux israéliens que la solution au conflit passait nécessairement par cette création d’État, ce qui fait partie de la défense du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. La cohabitation et la coexistence sont impossibles si la négation d’une des deux parties persiste. La création de l’État de Palestine est dans l’intérêt d’Israël, son refus n’assure pas sa sécurité. Il s’agit d’une solution pacifique et de prospérité, c’est indéniable.

- Sur le paradoxe de la situation actuelle : la question est à la fois complexe et simple. Le contenu d’un accord de paix est connu, mais il faut beaucoup de pédagogie pour surmonter les obstacles intellectuels et psychologiques. Le problème réside au niveau de la méthode. Les obstacles sont nombreux : méfiance, désillusion, poursuite de la colonisation, violence réciproque, division palestinienne et raidissement israélien de la psychologie collective. Le statut quo n’est pas tenable, le Ministre des Affaires Étrangères, M. Alain Juppé, l’a dit et répété, car la situation, injuste, s’aggrave et se prolonge.

- Sur le printemps arabe : en ce début de changement profond, le Proche-Orient ne sera plus jamais comme avant. Ces Révolutions populaires et politiques, endogènes car sans influence étrangère, ne sont pas sans rappeler les Révolutions françaises. Encore une fois, le statut quo qui persiste au Proche-Orient est moralement intenable, l’OLP a été à l’avant-garde de la démocratie dans le monde arabe et aujourd’hui ce peuple est l’un des rares peuples arabes qui ne peut avoir d’élections nationales.

- Sur la situation : elle n’est pas brillante, mais il faut garder l’optimisme de la volonté, malgré le pessimisme de la raison. La reconnaissance de l’Etat palestinien est donc une évidence pour la France, mais la méthode et le timing divergent : si le statut quo et l’absence de négociations se maintiennent, le vote à l’ONU se fera mais il y a peu de chance pour que la situation s’améliore pour autant. La France propose donc la validation de paramètres garantis par la communauté internationale dès le début des négociations : en deçà des paramètres européens et palestiniens, mais en accord avec les paramètres américains, afin de mettre en commun paramètres européens et américains et d’éviter que les États-Unis ne refusent ces bases ou l’ouverture de négociation. Il faut que la communauté internationale valide ces paramètres pour que les négociations reprennent, et il faut des échéances précise, sinon elles n’aboutiront jamais. La proposition française a été acceptée par les palestiniens, Israël n’a pas encore répondu, les Etats-Unis réfléchissent, l’Union européenne soutient l’initiative. M. Alain Juppé fait un travail de lobbying dans la perspective de la réunion du quartet. L’essentiel est de relancer la dynamique. La France prendra ses responsabilités.


M. CHAGNOLLAUD, politologue, professeur de sciences politiques à l'Université de Cergy-Pontoise :« Le statut quo n’est pas tenable » fait écho à ce qu’a dit Obama il y a peu. Il semble qu’il y ait consensus. Les peuples arabes ont montré qu’ils pouvaient aller au-delà de la peur, pour la dignité et la liberté, et les palestiniens y ont droit. Ce contexte a fait bouger la Palestine, comme l’a montrée la réconciliation entre Hamas et Fatah, mais cette réconciliation doit être regardée froidement. Elle est fragile. Il s’agit d’un accord-cadre : derrière le gouvernement d’union nationale se cache un affrontement stratégique pour le pouvoir, dans la perspective des prochaines élections législatives de 2012. On note un immobilisme du côté du gouvernement israélien, qui s’appuie toujours sur leur domination, et une arrogance, qui fonctionne par punitions (blocage des fonds, renforcement du blocus ou des conditions de détention…).

Les négociations sont envisagées mais pas sur les réfugiés ou la décolonisation, ce qui a orienté les palestiniens vers une nouvelle stratégie, stratégie par défaut puisque les négociations ne sont pas possibles dans ces conditions. Mais cette stratégie comporte des défauts. Tout d’abord, la reconnaissance juridique d’un Etat ne se fait pas au niveau de la communauté internationale, mais bien d’Etat à Etat.

De plus, l’admission à l’ONU n’est pas assurée, car il nécessite l’accord du Conseil de sécurité, et le veto américain est prévisible. Quant à la résolution Acheson, elle est limitée par son caractère exceptionnel. Ce vote consacrerait effectivement la reconnaissance par la communauté internationale, contrairement à la déclaration d’Alger en 1988, mais la situation est bien plus compliquée. En outre, le monopole de la violence légitime, définissant sociologiquement l’État (d’après Max Weber), est loin d’être acquis par les autorités palestiniennes.

Deux types de scénarios sont possibles :

- Demander à ce que les palestiniens infléchissent leur position afin de trouver le chemin d’une négociation acceptable par tous (tel que l’a proposé la France) ; mais cela a déjà été fait en 1999. Lorsque le calendrier d’Oslo s’est arrêté et que la création de l’Etat était attendue, les autorités palestiniennes ont été invitées à attendre la tenue d’élections prochaines

- Si les palestiniens décident de solliciter un vote à l’ONU, des reconnaissances bilatérales d’Etat sont nécessaires. Pour l’instant, la reconnaissance, indispensable, des Européens et de l’Amérique du Nord n’est pas acquise. Au regard de l’accueil du discours de Netanyahou au Congrès des Etats-Unis (le 24 mai 2011), il y a peu de chance pour que ce dernier change de position. La reconnaissance par l’Union Européenne, dont le statut d’observateur est reconnu à l’ONU, rencontre de nombreux obstacles politiques. La position officielle reste : « Nous allons reconnaître l’Etat palestinien… le moment venu ». En revanche, un acte de courage politique et de capacité d’initiative est possible au niveau national, notamment en France. La France pourrait entrainer avec elle d’autres pays. Par la suite, de nouvelles négociations seraient nécessaires, mais un pas serait franchi. Dans tous les cas, un retour à la violence est prévisible si l’échec est constaté.


M. DIECKHOFF, politologue, directeur de recherches au CNRS : La reconnaissance de l’Etat palestinien à l’ONU semble être une étape importante et nécessaire, car la relance des négociations paraît illusoire. Le « statut quo » existe politiquement, mais pas sur le terrain. La stratégie de B. Netanyahou depuis 2 ans est de savoir faire des concessions quand il faut, mais ne rien lâcher sur l’essentiel. Par exemple, la pression américaine après l’élection de B. Obama a abouti à un moratoire sur la construction de colonies. Mais après l’échec des démocrates lors des élections de mi-mandat, le moratoire a cessé, et B. Netanyahou a même adressé une fin de non-recevoir claire à B. Obama en mai dernier, sans parler des standing ovations reçues au Congrès.

Dans ce contexte, il ne cédera rien. Son discours au Congrès pose en réalité un changement des paramètres. Les échanges de territoire seraient beaucoup plus limités ; pas de négociation sur le statut de Jérusalem ; présence militaire israélienne continue dans la vallée du Jourdain. Ces paramètres rendent toute négociation impossible. Si elles sont relancées et acceptées par le gouvernement, ce serait pour gagner du temps. Cela s’explique également par la politique intérieure israélienne : le parti d’extrême droite au pouvoir est en position de force, tandis que le parti travailliste est très affaibli, ce qui le conforte dans sa position intransigeante. La seule chose qui inquiète le gouvernement israélien est la perspective d’une reconnaissance à l’ONU.

Voilà pourquoi c’est la seule solution. Peut-être que rien ne changera sur le terrain, mais politiquement c’est une carte à jouer, puisque la position israélienne ne sera plus celle d’une « occupation de territoires », en déserrance depuis que le Liban en a coupé les liens en 1988, mais celle d’une occupation d’Etat. Cet enjeu politique est à mesurer dans l’optique d’une absence de négociations crédibles.


M. AL FAHOUM :Cette stratégie a permis aux palestiniens de dépasser l’influence d’Israël et de cesser de suivre l’imposition de ses règles. Israël est hautement subventionné par les Etats-Unis, tandis que le peuple palestinien est seul. En 17 ans de négociations, le gouvernement israélien n’a pas donné signe d’une volonté de paix, d’où la décision de se tourner vers l’ONU. Et il semble que pour une fois, Israël soit dans un sentiment de panique. Les journaux allemands et français ont même mentionné la « Diplomatie suicidaire de Netanyahou ». 


Débat avec la salle :

M. Etiennes BUZBACH, Maire deBelfort, Président dela Communauté d'Agglomération de Belfort, vice-président de laRégion Franche-Comtée : 3 points.

- L’avis des collectivités locales doit être affirmé auprès du MAE et d’Alain Juppé, au travers d’une déclaration commune.

- Pour relancer la dynamique, une intervention au sujet de Jérusalem-est est nécessaire.

- Dans le cadre des Assises, il faut acter les relations bilatérales décentralisées.

Le vice-président de la région Rhône-Alpes propose une réflexion, à laquelle le RCDP contribuerait, engagée sur la coopération décentralisée en Palestine et ses moyens pour accompagner la création de l’Etat. M. Nicolet rappelle que l’accompagnement est politique, puisque la reconnaissance de collectivités précède celle de l’État. En outre, rien n’est plus efficace pour informer les français de la situation en Palestine que d’emmener des citoyens sur place, et cette prise de conscience dans la société française est utile et nécessaire.