(De gauche à droite sur la photo: Pascal Boniface, Claude Nicolet, Jean-Pierre Filiu, Denis Simonneau et Dominique Vidal.)
J'ai eu l'occasion d'animer, le 02 juillet dernier, une table ronde sur la "nouvelle donne au Proche-Orient" dans le cadre du troisième forum de l'action internationale des collectivités locales, au Palais des Congès porte Maillot à Paris. Devant une salle pleine à craquer de plusieurs centaines d'élus, de'agents des colllectivités locales, de représentants du ministère des Affaires étrangères, du Walli d'Annaba représentant le gouvernement algérien et de l'ambassadeur de Palestine, nous avons pu vivre un moment passionnant et pour tout dire de très haut niveau. Je vous invite à prendre le temps de lire cette synthèse qui ne refléte hélas, qu'une partie de la richesse de nos échanges.
Le "sentiment" révolutionnaire s’est répandu dans tout le Moyen-Orient. De la Tunisie à l’Égypte, en passant par Bahreïn, la Libye et le Yémen, un « nouveau Moyen-Orient» prend forme : d’anciens régimes renversés (en Tunisie et en Égypte), une guerre civile larvée en Libye et une révolte réprimée dans le sang en Syrie qui se transforme en guerre civile, sans compter les violentes secousses qui ont éprouvés le Golfe persique.
Il reste cependant difficile de faire une analyse globale du Moyen-Orient arabe tandis qu’il semble désormais évident que le « printemps arabe » a été interdit aux Palestiniens. Quid de l’action diplomatique menée par l’Autorité Nationale Palestinienne à l’ONU pour la reconnaissance de l’Etat palestinien ? Comment Israël perçoit-il le « processus démocratique » en cours dans le monde arabe ? Quelles perspectives d’action ce renouveau lui offre-t-il ? Quelle attitude israélienne face à la nouvelle donne politique en Egypte et face aux interrogations syriennes ? L’intensification des menaces de guerre visant l’Iran et par extension l’ensemble du Moyen-Orient est-elle une réalité ? Si la perspective d’une guerre semble désormais s’éloigner à la faveur d’une conjonction de facteurs économiques et géopolitiques (transition gouvernementale en Israël, élection présidentielle aux Etats-Unis), le conflit entre sunnites (axe Arabie Saoudite) et chiites (avec l’Iran) continue de structurer les conflits et de déterminer les rapports de force.
Cette table ronde fut l'occasion de faire un vaste tour d'horizon de la situation et de confronter une série d'analyses avec quelques uns des plus brillants spécialistes français du Proche-Orient.
Jean-Pierre FILIU, professeur des Universités, professeur à Sciences-po a ouvert le débat sur une réflexion d'ensemble. Ce qui se passe dans le monde arabe, qu'on dénome de façon impropre selon lui par "printemps arabe", doit être replacé dans une histoire de longue durée, seul cadre d'interprétation valable. Par ailleurs Révolution et Contre Révolution vont souvent ensemble. A ce titre la Tunisie et l'Egypte doivent être considérées comme une sorte "d'avant garde".
Un certain nombre d'éléments doivent être pris en compte pour comprendre ces phénomènes: Les guerres contre l'Irak de 1991 à aujourd'hui, l'impact du 11 septembre, mais aussi la transition démographique du monde arabe qui bouleverse la sociologie des pays concernés. La mise en cause du paternalisme n'est pas sans conséquences sur ce qui se déroule actuellement et sur le fait que la langue arabe devient aussi la langue de la Révolution, renouant en partie avec la tentative de renaissance et d'émancipation politique du XIXème siècle. C'est aussi l'occasion de la réaffirmation du cadre de l'Etat nation comme lieu de l'exercice et du combat politique pour la liberté, la démocratie et surtout l'affirmation de la dignité, de l'honneur du peuple et de la nation face à des régimes corrompus et ayant humiliés le pays. En ce sens ils sont considérés comme traitres à la nation.Ce qu'il faut comprendre, insiste Jean-Pierre FILIU, c'est que ces mouvements sont aussi des guerres de libération nationale à très fortes dimension sociale. C'est la tentative de reconstruction des sociétés par le bas, d'où l'importance notamment de la question du droit et en particulier de la rédaction des Constitutions. C'est aussi une vague constitutionnaliste. Le piège qui nous est tendu notamment aux sociétés occidentales, c'est celui de l'épouvantail islamiste qui participe d'une volonté de contruire l'ennemi. Jean-Pierre FILIU a également mis en lumière l'importance de la question palestinienne comme étant en réalité au coeur des mouvements parce qu'elle illustre le désir profond de retrouver l'honneur et la dignité. La Palestine étant le symbole de cette déchirure et de la nécessité de cette reconquête symbolique. Il y a de ce point de vue une sensibilité extrême vis à vis du peuple palestinien. C'est en fait l'ensemble du monde arabe qui est en cours de recomposition, à l'image de ce qui se passe en Syrie au prix d'une terrible tragédie. Dans ce contexte difficile, Jean-Pierre FILIU exorte les collectivités locales à poursuivre et amplifier leurs efforts et leurs actions. Acteurs nouveaux de la scène intrenationale, sans volonté de puissance, elles peuvent jouer un rôle origninal et prometteur dans ce type d'environnement et surtout porter des projets de développement par nature apaisant et pacificateur.
Dominique VIDAL, collaborateur au journal "Le Monde diplomatique", s'est attaché à mesurer l'impact des processus révolutionnaires arabes sur le conflit israélo-palestinien. Si nous ne sommes qu'au début d'un mouvement sans précédent, et qu'il faut donc rester prudent, nous en voyons déjà des conséquences importantes. Le dispositif stratégique israélien s'en trouve ébranlé. Tel-Aviv est plus isolée que jamais dans la région, mais aussi au plan international, comme en témoigne le très large consensus autour de la candidature de l'Etat de Palestine à l'ONU. Il en va de même dans les opinions, où, selon le sondage annuel de la BBC, Israël figure parmi les quatre pays dont la politique est jugée la plus négative, avec l'Iran, le Pakistan et la Corée du Nord. Et pour cause: la fin des dictatures arabes enlève à l'Etat d'israël l'argument selon lequel il serait "la seule démocratie du Proche-Orient". La politique d'occupation et de colonisation apparaît chaque jour davantage pour ce qu'elle est: injuste et en contracdiction flagrante avec le droit international. Il faut aussi, dit Dominique VIDAL, mesurer combien ce qui se passe chez leurs voisins pousse les Palestiniens à se rassembler, comme le prouve le rapprochement entre Fatah et Hamas. Ce dernier a beaucoup avancé: acceptation du principe d'un gouvernement d'union chargé d'organiser des élections libres, renonciation à la lutte armée, ralliement à l'objectif d'un Etat palestinien dans les frontières d'avant la guerre de 1967. En Israël aussi, les choses bougent. La question sociale a fait, avec le mouvement des "indignés", irruption sur la scène intérieure. Même s'il n'a pas posé ouvertement la question du droit des Palestiniens à leur Etat, il montre que les Israéliens mesurent le caractère incompatible des dépenses militaires et de colonisation avec la satisfaction de leurs besoins en termes de logement, d'éducation, de santé, etc. Dominique VIDAL estime donc que le nécessaire renouveau de la politique proche-orientale de la France et de l'Europe doit donner la priorité à la solution de ce conflit sur la base des résolutions de l'ONU. Car il constitue un "cancer" dont les "métastases" rendent malade toute la région. Les "roulements de tambour" de Tel-Aviv contre Téhéran peuvent être une tentative de détourner l'attention de la communauté internationale ou une surenchère pour obtenir plus de sanctions, mais aussi la préparation d'une veritable aventure dangereuse pour la paix du monde. Seule un Proche-Orient dénucléarisé peut garantir cette dernière.
Pascal BONIFACE, directeur de l'IRIS (Institut des Relations Internationales et Stratégiques) a poursuivit la réflexion en démontrant que l'échelon national restait celui de l'analyse pertinente. Replaçant ses propos sur des données structurantes et portant en elles-mêmes des conséquences inéluctables, comme les taux d'alphabétisationsn, les courbes démographiques, il a pointé du doigt une série d'erreurs faites ces dernières décennies. Evoquant l'Irak ou l'Afghanistan il a réaffirmé que "la guerre n'apporte pas la démocratie" et n'a probablement eu pour seul résultat que d'accélérer "la fin du monopole occidental de la puissance" face à l'émergence de nouvelles puissances avec lesquelles il faudrait créer de nouveaux partenariats pour le développement plutôt que d'entretenir une compétition qui ne sert pas nos intérêts à long terme. Dans ce contexte il faut analyser ce qui se passe dans chaque "camp". Il ne faut notamment pas se faire d'illusion, le "camp de la paix" est en perte de vitesse en Israël. Il est probablement durablement affaibli et la coalition de droite et d'extrême droite fonctionne et bénéficie du soutien majoritaire de la population. Autrement dit, la question palestinienne qui est une question éminemment politique et qui reste une "cause" a perdu du terrain en Israël et dans son opinion publique. Or pour Pascal BONIFACE, ce "statu quo" n'est plus tenable, il n'est pas durable car il ne représente aucune perspective d'avenir. Dans une région en pleine instabilité, secouée par les révolutions, le conflit israëlo-palestinien reste un marqueur identitaire et politique puissant et traduit l'exigence de dignité du monde arabe. Dès lors, il y a une urgence politique majeure pour aboutir à la reconnaissance de la Palestine à l'ONU. Cette reconnaissance sera un élèment de stabilité mais en même temps une remise en cause d'un statu quo très dangereux. Dans cette perspective, la France pourrait jouer, selon Pascal BONIFACE, un rôle déterminant.
Pour Denis SIMONNEAU, directeur des Relations Internationales de GDF-Suez, la question sociale est également déterminante. Les entreprises doivent l'intégrer dans leur réflexion et leur stratégie de développement. Ce qui se manifeste aujourd'hui dans le monde arabe c'est une très forte revendication de dignité. Les besions de base doivent être satisfait et ces besoins ne sont pas uniquement d'ordre matériel. Dès lors, s'interroge Denis SIMONNEAU, les entreprises veulent connaître l'environnement politique dans lequel elles seront amenées à évoluer, quelles politiques seront mises en oeuvre, quels champs seront couverts par la puissance publique, quel type de régulation sera proposé. La redéfinition du périmètre de l'Etat est donc une question centrale dans son articulation avec le monde économique et les perspectives de développement que cela recouvre. SI un "ancien monde" disparaît, de nombreuses interrogations existent sur le "monde qui vient", en particulier sur la place qui sera accordées aux investissements internationaux.
Or les outils multilatéraux qui permettent d'aborder ces questions sont nécessairement "impactés" par de tels évènements. L'Union pour la Méditéranée pourrait-elle jouer ce rôle alors qu'elle n'a cessé de buter sur la question palestinienne? Dans une situation aussi mouvante, les entreprises cherchent incontestablement de nouveaux partenaires pour construire leurs stratégies internationales.
L'articulation entre l'Etat et les collectivités locales, nous dit Denis SIMONNEAU, est maintenant regardée et considérée avec beaucoup d'attention voire d'intérêt par les entreprises, qui ne veulent pas négliger le lien de plus en plus étroit qui existe désormais entre coopération décentralisée et développement économique.