Claude NICOLET

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JPCIntervention de Jean-Pierre Chevènement au Sénat, débat sur le programme de stabilité 2011-2014, mercredi 27 mars 2011.

Madame la Ministre, 
Depuis le traité de Maastricht, la France a renoncé à sa souveraineté monétaire. On en voit aujourd’hui le résultat : l’euro fort convient à l’Allemagne du fait de sa spécialisation économique. Il convient moins bien à la France dont la croissance s’en trouve ralentie, le chômage maintenu à un niveau proche de 10 % et le commerce extérieur en déficit structurel (plus de 50 Milliards d’euros en 2010).  

Au prétexte que la zone euro, rassemblant dix-sept pays économiquement et politiquement hétérogènes, est fragile – il eût fallu s’aviser plus tôt de ce vice de conception initial – le gouvernement propose aujourd’hui au Parlement de renoncer à la souveraineté budgétaire de la France, à travers un document intitulé « programme de stabilité de la France 2011-2014 ». Ce document ne fait que traduire les engagements du « Pacte de stabilité » dit Merkel-Sarkozy adopté par le Conseil de l’euro du 11 mars et entériné par le Conseil européen des 24 et 25 mars 2011. On assiste ainsi à ce paradoxe qu’une crise financière, privée à l’origine, aboutit à une austérité publique généralisée et véritablement sans précédent : constitutionnalisation ou, en France, semi-constitutionnalisation par voie de lois organiques, de l’interdiction des déficits publics, nouveau décrochage des salaires, recul automatique de l’âge de la retraite. 

C’est pour sauver l’euro – dont ses promoteurs nous assuraient depuis des années qu’il nous sauverait des périls extérieurs – que le Conseil européen nous invite maintenant à légiférer pour assurer, selon lui, « une coordination renforcée des politiques économiques pour la compétitivité et la convergence ». Cette coordination s’intègre dans le projet de réforme constitutionnelle préparé par le gouvernement dont le Parlement doit débattre avant l’été : Il s’agit essentiellement de mettre le budget de l’Etat en tutelle, en créant des « lois-cadres d’équilibre des finances publiques », dont les dispositions s’imposent « de manière intangible » aux lois de finances et aux lois de financement de la Sécurité sociale. Le but affiché est de ramener le déficit public de 7% du PIB en 2010 à 2% en 2014.

C’est sans doute par ironie que le gouvernement propose aussi d’inscrire dans la Constitution le principe d’une transmission systématique à l’Assemblée Nationale et au Sénat du « programme de stabilité de la France », avant qu’il ne soit adressé à la Commission européenne. En réalité « la messe est dite » depuis longtemps. Sa rédaction détaillée est l’œuvre conjointe des fonctionnaires de la Commission européenne et de Bercy. C’est un simulacre de consultation destiné à masquer que désormais, en matière budgétaire, c’est à Bruxelles que se prendront les décisions. C’est un programme de rigueur budgétaire et sociale à perpétuité que vous nous demandez d’entériner, à travers une consultation de pure forme.

 Il s’agit d’abord d’installer dans la durée une double norme d’évolution des dépenses de l’Etat : zéro volume et zéro valeur, hors intérêts et pensions. 

- En découlent la poursuite de la RGPP, la baisse de 10% des dépenses de fonctionnement de l’Etat, dont 5% dès 2011, et de 10% des dépenses d’intervention ; le gel enfin des dotations aux collectivités locales.

 - Par ailleurs, le ralentissement de la progression de l’ONDAM de 3% à 2,8% par an se traduira par la hausse de 5% du ticket modérateur sur les services médicaux et la baisse du remboursement des médicaments.

En réalité, tout cet exercice repose sur une accumulation d’hypothèses optimistes, s’agissant notamment d’un taux de croissance du PIB que le gouvernement a déjà dû réviser à la baisse pour 2011 et 2012, mais maintient à + 2,5% pour 2013 et 2014. 

Or qu’est-ce qui justifie un pareil optimisme ? Essentiellement la reprise escomptée de la demande mondiale à hauteur de 6,5% par an à compter de 2013, reprise qui fait ressortir a contrario la très faible croissance de la zone euro. Comment mieux reconnaître la perte complète d’autonomie de la zone euro, incapable de programmer elle-même une stratégie de croissance et d’investissements pour favoriser par exemple la résorption du chômage ou la nécessaire transition énergétique ? La zone euro est la lanterne rouge de la croissance et le ruban bleu du chômage à l’échelle mondiale parce que ses gouvernements ont choisi de tout faire pour maintenir l’euro comme la monnaie la plus surévaluée du monde : c’est un choix de classe ; c’est le choix des possédants, de ceux qui détiennent les actifs financiers. Mais ce n’est pas le choix des peuples et encore moins le choix de la jeunesse, sacrifiée sur l’autel de la rentabilité financière ! 

Le document qui nous est soumis est un choix de résignation face à l’avenir. 
Les hypothèses macroéconomiques associées au programme, en elles-mêmes déjà très défavorables, d’un euro à 1,40 dollar et d’un baril de pétrole à 100 dollars, sont d’ailleurs déjà dépassées : la politique américaine de « quantitative easing », c’est-à-dire le recours à la « planche à billets », ne peut que plomber encore plus le dollar et renchérir l’euro, aujourd’hui à 1,46 dollar et dont le cours de lancement était – rappelons-le – à 1,16 dollar et le cours réel, en 2000, à 82 centimes de dollar. 
Ajoutons à cela l’augmentation des taux d’intérêt de la Banque Centrale européenne de vingt-cinq points de base pour commencer, à rebours de la politique des autres Banques Centrales et d’une politique de change sensée, visant à freiner le renchérissement de l’euro.

Enfin et surtout, comment ne pas anticiper l’effet des politiques de rigueur partout mises en œuvre en Europe, programmée, elle explosera à nouveau. Et cela de deux façons : d’abord par l’abondement inévitable du FESF d’ici à 2013 et du mécanisme européen de stabilité qui s’y substituera alors, à moins d’engendrer une nouvelle crise de liquidité bancaire et par ailleurs par le biais des moins-values fiscales liées au ralentissement de la conjoncture.

Ainsi le serpent se mord la queue : le contribuable français est doublement sollicité pour réduire la dette de la France et pour financer celle des pays susceptibles de faire défaut. 

Dans les hautes sphères, on envisage maintenant de réduire par degré en vingt ans le ratio de dette à 60 % du PIB, ce qui pour l’Italie par exemple impliquerait un excédent budgétaire de trois points du PIB par an, et pour la France de 1,3 point. 
C’est vraiment une cure d’austérité à perpétuité que prévoit cette programmation, quintessence du pacte « de compétitivité » de Mme Merkel, au dos duquel M. Sarkozy a cru bon d’ajouter sa caution ! 

Un tel programme dit de stabilité vide la démocratie de tout contenu. Qu’eût signifié un tel document s’il avait été présenté en 2007 ? Il aurait simplement empêché le sauvetage des banques, la relance et le grand emprunt ! Croyez-vous vraiment que la crise soit pour toujours derrière nous et que celle de l’euro ne vienne, par exemple, solliciter beaucoup plus que prévu notre budget ? 

Le programme de stabilité de la France 2011-2014 interdira au parti socialiste, si son candidat est élu, de financer son programme, dont lui-même évalue le coût à 25 Milliards d’euros sur la législature 2012-2017, mais qu’un journal comme « Les Echos », dans son édition du 20 avril dernier, chiffrait à une somme cinq fois supérieure. 
Il faut changer de « logique », Madame la Ministre, pour répondre aux aléas économiques et politiques prévisibles dans les quatre ans qui viennent. 

Ce que vous nous proposez, c’est de mettre définitivement la démocratie en vacances. 
Votre « programme de stabilité », triomphe de la « Doxa » néolibérale, débouchera sur une récession européenne qui rendrait encore plus inaccessibles les objectifs de réduction de déficit et de dette que vous nous assignez, comme on le voit déjà en Grèce et au Portugal. 

Il est temps de concevoir pour l’Europe une sortie de crise par le haut, comme le font les Etats-Unis : seule la croissance en effet peut permettre de réduire les déficits et la dette. On attendrait de la France qu’elle mette l’accent sur une initiative européenne de croissance, fondée sur la relance salariale d’abord dans les pays les plus importants de la zone euro, sur la réforme des statuts de la Banque Centrale européenne ensuite pour introduire la croissance et l’emploi au rang de ses missions et lui permettre de racheter les titres de dette sur les marchés autant que de besoin, troisièmement pour modifier les textes européens qui s’opposent par exemple au lancement d’un grand emprunt ou à une politique industrielle que le dogme fondateur de la concurrence interdit, et enfin pour rééchelonner les dettes publiques autant qu’il le faudra en mobilisant notamment l’épargne des résidents, à l’exemple du Japon.

Ne rêvons pas : ce changement de logique n’est pas à l’ordre du jour. Le choix de la monnaie unique a été une monumentale erreur qu’ont commise solidairement la plupart des dirigeants de la droite et, hélas, la quasi-totalité des responsables socialistes. J’adjure ceux-ci de rechercher une autre solution qu’une intégration politique toujours plus poussée de la France à une Europe qui, dans l’état actuel des textes et des rapports de forces, ne peut signifier que l’engloutissement de la République dans un nouvel Empire, celui des marchés financiers. 

Il est temps que la France propose pour l’Europe une autre orientation fondamentalement différente. Il est temps de changer les règles de la zone euro, si l’on ne veut pas voir s’ouvrir la crise de cette expérimentation hasardeuse.

Une chaîne de récifs sociaux, économiques et politiques se laisse voir à l’horizon. Des élections générales auront lieu en France, en Allemagne, en Italie en 2012-2013. Plutôt que de programmer un avenir qui n’aura pas lieu, il serait temps que nos responsables politiques se préparent à d’autres hypothèses et fassent preuve d’imagination. « Aude sapere », disaient les hommes de la Renaissance : « Osez penser » ! Madame le Ministre. Demain, il faudra faire face. Votre « plan A » ne marchera pas. Il serait utile d’avoir préparé quelques plans de rechange dans l’intérêt de la France mais aussi dans l’intérêt de l’Europe tout entière avec laquelle vous ne réconcilierez pas les citoyens, si elle ne redevient pas elle-même synonyme de « progrès ».