Claude NICOLET

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SalamaCoopération décentralisée, Palestine, élections présidentielles, situation politique, Europe, Jean-Pierre Chevènement, François Hollande, voici l'entretien que j'ai donné au magazine Salama, le Maghreb dans tous ses états qui est paru ce mois-ci.

Claude Nicolet, président du Réseau de coopération décentralisée pour la Palestine et premier secrétaire du Mouvement républicain et citoyen de la fédération du Nord, tire la sonnette d’alarme pour la "maison Europe" et souligne la solidarité de son réseau pour une Palestine libre.

SALAMA : Quel est l’enjeu de la coopération décentralisée pour Dunkerque et ses partenaires ?

Claude Nicolet : Pour Dunkerque, c’est un enjeu essentiel. Ça nous permet de nous positionner sur le champ international. Sur le plan territorial, ça crée du débat et de l’animation démocratique. On soutient des dizaines d’associations de solidarité internationales. Et il y a des Dunkerquois qui s’investissent dans des associations pour soutenir ces partenariats. Ça engendre une dynamique sociale, intellectuelleet culturelle. En revanche, quand on a un accord de coopération avec une ville, notamment Annaba en Algérie, Bizerte en Tunisie, El-Jadida au Maroc ou Gaza en Palestine, on travaille directement avec les institutions et les communautés urbaines. Aujourd’hui, tous les territoires cherchent à avoir des relations avec d’autres territoires internationaux. Car, là encore, ça crée de l’activité, de la dynamique technique et administrative. La coopération décentralisée se bâtit aussi sur la réciprocité. Avec Annaba, on anime des ateliers d’urbanisme. Des urbanistes dunkerquois réfléchissent sur le tissu urbain d’Annaba et vice versa. Nous avons actuellementun programme européen, Med Pacte, qui porte sur la mise en valeur de la vision urbaine d’Annaba et de Bizerte. Et c’est dans ce cadre qu’on aide la ville d’Annaba à se doter d’une agence d’urbanisme. De plus en plus d’entreprises sont intéressées par l’action des collectivités locales à l’international. Là où il y a un jumelage, les entreprisesse sentent plus rassurées et leur travail sur place est facilité.

SALAMA : Le partenariat avec la Palestine a-t-il quelque chose de spécial pour Dunkerque ?

C.N. : La communauté urbaine de Dunkerque est jumelé avec Gaza depuis 1996. On s’est inscrit dans cette démarche pour soutenir le processus de paix qui avait été lancé à Oslo en 1993. Un certain nombre d’élus locaux français, dont Michel Delebarre, se sont posés la question à ce moment-là de savoir ce qu’ils pouvaient faire de leur côté pour soutenir ce processus. C’est ainsi qu’ils se sont constitués en réseau. L’association de loi 1901 Réseau de coopération décentralisée pour la Palestine (RCDP) est née au sein de Cités Unis France (cette association fédère les collectivités territoriales françaises engagées dans la coopération internationale, ndlr) justement pour promouvoir la coopération avec les villes palestiniennes.

SALAMA : Ces différents accords de coopération avec des villes palestiniennes ne sont-ils pas une manière de reconnaître la Palestine ? Si oui, les relations avec Gaza vont-elles redémarrer ?

C.N. : Bien sûr, c’est une façon de reconnaitre l’existence du peuple palestinien, sa réalité urbaine, ses villes, ses institutions. Depuis le jumelage avec Gaza City, nous avons mené plusieurs projets avant que les choses malheureusement ne se compliquent à partir de 2005. Notamment, depuis la prise du pouvoir par le Hamas et ensuite avec l’opération Plomb durci et la mise en place du blocus qui verrouille la bande de Gaza. La situation politique reste tendue sur place. Néanmoins, nous maintenons des relations continues dans le cadre des assises du RCDP qu’on organise avec les Palestiniens fin Janvier. L’importance des relations entre les villes françaises et les villes palestiniennes augmentent tous les ans. Il y a de plus en plus d’adhérents et de jumelage entre les collectivités françaises et les palestiniennes. Il y a une volonté politique très forte des villes hexagonales de s’inscrire dans le soutien à la Palestine. Ainsi la région Ile-de-France, avec 12 millions d’habitants, va adhérer à notre réseau de coopération. Le conseil général de Loire-Atlantique va nous rejoindre et se jumeler avec une collectivité palestinienne. D’autres contacts existent aussi avec plusieurs conseils régionaux, des villes… C’est un vrai mouvementde fond. Je suis un président heureux.

SALAMA : Est-ce que la demande d’adhésion à l’Unesco (en fait à l'ONU) de Mahmoud Abbas constitue un nouvel enjeu pour la coopération décentralisée ?

C.N. : Je ne pense pas. La coopération avec les villes palestiniennes est un processus qui a acquis maintenant sa propre dynamique. Mais cette nouvelle donne est soutenue par l’affichage d’une solidarité, d’une fraternité politique et d’une collectivité avec un peuple qui revendique ses droits légitimes d’exister comme nation dans son Etat, libre, souverain et démocratique. En revanche, il y a une volonté des collectivités locales françaises de s’inscrire dans une dynamique de paix dans la région entre l’Etat d’Israël et l’Etat de Palestine. Bien souvent, les villes françaises jumelées avec des collectivités palestiniennes ont également une coopération avec des villes israéliennes.

SALAMA : Sur quel sujet vont porter ces assises pour lesquelles vous comptez vous rendre en Palestine fin janvier ?

C.N. : Avec le RCDP, j’organise les assises de la coopération décentralisée franco-palestinienne qui auront lieu à Hébron du 22 au 24 janvier prochains. Nous serons accueillis par le Premier ministre Salam Fayyad à l’ouverture de nos travauxet reçus à la clôture par Mahmoud Abbas.Nous allons poursuivre le travail au quotidien et faire le point sur les nombreux projets déjà engagés sur l’eau, l’assainissement, la culture, la jeunesse, le développement économique.... Sur le tourisme, il y aura, par exemple, un atelier surl e patrimoine palestinien, cette question revêt un relief particulier depuis l’admission de la Palestine à l’Unesco. Arcueil et Belfort montent un dossier avec Hébron avec laquelle ils sont jumelés pour faire reconnaitre la vieille ville au patrimoine mondial.

SALAMA : Revenons à votre combat politique ici en France au sein de votre parti le Mouvement Républicain Citoyen…

C.N. : J’ai milité pour le "non" à la guerre en Irak en 1991, "non" à Maastricht et "non" au traité constitutionnel européen (TCE). Malheureusement, l’avenir a donné raison aux partisans du "non". Les conséquences de Maastricht se font ressentir aujourd’hui par la crise qui est en train de ruiner l’Europe et le système politique et financier devient fou. On a capitulé devant les marchés financiers. Aujourd’hui, on n’a plus à craindre une guerre militaire en Europe. Mais nous aurons notre mai-juin 1940 (référence à la Bataille de France, ndlr) économique et social. Aujourd’hui, les missiles, les chars se sont les fonds de pensions, le fonctionnement de l’actionnariat…Pour avoir une chance de s’en sortir,il faut avoir confiance dans son pays, dans les peuples européens et les nations européennes. Car, c’est en s’appuyant seulement sur elles et en rebâtissant de vraies solidarités sociales, détruites ces trente dernières années, qu’on pourra faire levier pour offrir une ligne de résistance aux marchés financiers. Et reprendre la main sur la liberté de transaction des mouvementsde capitaux. Rien que le montant des spéculations du marché des dérivés donne froid dans le dos. Il est estimé à plus de 650 000 milliardsde dollars !

SALAMA : Peut-on parler encore de démocratie quand les lobbys ont le pouvoir de décision ?

C.N. : Il reste peu de démocratie, en effet, et c’est très inquiétant. On est confronté à des systèmes qui nous obligent à retisser ce lien entre la décision politique et la démocratie. Ce lien a été rompu, et abandonner la souveraineté nationale et la souveraineté populaire, c’est abandonner la démocratie. Car si le peuple n’est pas souverain, ça veut dire qu’il n’est pas libre. Sous couvert de technicité et d’expertise, on a transformé la nature même des Etats démocratiques. On met entre parenthèses l’instant démocratique et la vieille Europe pour entrer dans l’ère postindustriel ou « postdémocratique », comme le note Hubert Védrine. On nous dit qu’il faut revoir notre modèle de production, mais tout ça c’est du baratin ! Si l’on n’a pas une base productive industrielle puissante, jamais nous n’aurons les moyens d’avoir un système social efficace. Je crois que la tentation impériale est de retour en France. Ça ne va pas se faire à la manière napoléonienne. Elle se fait avec les outils d’aujourd’hui. Cette tentation se décline en élargissant le marché et l’espace de rentabilité. Les barrières et les frontières ne disparaissent pas pour permettre la libre circulation des hommes, mais pour avoir les plus larges espaces d’expansion à la disposition des marchés. C’est pour ça qu’on voit certains responsables politiques réfléchir à comment se passer des élections et du suffrage universel. Pour eux, puisque nous rentrons dans un système trop complexe, les décisions doivent être prises par le gouvernement des experts éclairés. Ils veulent enlever au peuple la possibilité dedire « non » par une volonté dictatoriale pour avoir les coudées franches. Et c’est là que réside la tentation impériale.

SALAMA : Vous venez de dresser un portrait lucide sinon noir de l’Europe de la démocratieet de la liberté. Y a-t-il des solutions pour éviter un avenir aussi funeste ?

C.N. : Tout d’abord, les peuples européens sont attachés à la démocratie et à leur liberté. Ce sont les peuples qui sont les véritables acteurs de l’histoire. Il y a des solutions évidentes. Il faut envisager et anticiper la disparition de l’euro. Revoir le fonctionnement de la Banque centrale européenne (BCE) et transformer ses statuts. Aujourd’hui, son unique rôle c’est la stabilité des prix. Son seul objectif est de lutter contre l’inflation. Il paraît évident qu’elle doit s’occuper également de la croissance et de l’emploi. Il faut aussi qu’elle puisse prêter directement aux Etats à 0 % sans qu’ils passent par une banque. Il faut que la BCE puisse être démocratiquement contrôlée. Maastricht affranchissait la BCE du pouvoir politique. Comment voulez-vous que des hommes aussi puissants,affranchis de tout contrôle et n’ayant de comptes à rendre à aucun peuple ni à un responsable, puissent se limiter eux-mêmes ? C’est l’article123 du traité de Lisbonne. On a créé un système qui n’est pas formaté pour répondre à la crise actuelle. On pourra mettre tous les sous qu’on veut dans le fonds européen de stabilité financière,on n’arrivera pas à endiguer la crise. Car la dette publique des pays européens est énorme.

SALAMA : Croyez-vous François Hollande capable d’être le président de ce changement radical qui sauvera l’Europe des marchés financiers?

C.N. : J’ai la faiblesse de l’espérer, mais je soutiens d’abord Jean-Pierre Chevènement qui veut faire « bouger les lignes ». Mais je ne suis pas naïf. François Hollande sera obligé, néanmoins,de prendre des décisions radicales. Car si la France vient à tomber, l’Europe entière repartira cinquante ans en arrière sur le plan économique et social. On ne peut continuer d’invoquer la rigueur comme la solution à la crise, sinon nous ne récolterons que la récession. Je n’exclus pas qu’en 2012 il ne faille un gouvernement de rassemblement national pour faire face à cette situation.

SALAMA : La probabilité que François Hollande, qui a voté « oui » à Maastricht et au traité constitutionnel européen (TCE), n’offre pas cette alternative espérée n’est-elle pas plus vraisemblable?

C.N. : Malheureusement, les partisans du « non » de Maastricht et du TCE n’ont pas été capables d’offrir une perspective politique digne de ce nom au pays. Cependant, il faut croire à la force des idées et à la dynamique des situations. La gauche est à la croisée des chemins. Ou elle se redécouvre elle-même et s’assume, ou elle meurt. Alors le pire sera à craindre. Y compris les aventures les plus funestes. Il faudra donc qu’elle soit capable de construire cette force alternative en mesure de ramener le changement. François Hollande devra se hisser non pas à la hauteur d’une élection, certes particulière, mais à celle de l’Histoire. Il ne pourra pas rester sur le logiciel social-démocrate des vingt dernières années. Il devra faire sa mue sociale-républicaine. Jaurès disait : « Le socialisme, c’est la République jusqu’au bout. » Jean-Pierre Chevènement peut l’aider puissamment à y parvenir et à gagner.

HAFIDA SEKLAOUI