Claude NICOLET

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Avec un score de 66% contre 34%, Emmanuel Macron à 39 ans est devenu président de la République française.Il convient de lui adresser nos voeux de réussite, pour la République, la France et les Français. Il incarne une forme de renouveau, mais si la jeunesse est un état (passager), elle n'est pas nécessairement une qualité politique. Il faut ajouter à cela l'ampleur de l'abstention, des votes blancs et nuls qui illustre également la profondeur des fractures françaises.

A l'issue d'une campagne peu commune mais révélatrice de nos difficultés, il a vaincu la candidate de l'extrême droite. Cette victoire, s'il l'a doit à ses mérites et son audace, n'est en aucun cas un blanc seing ou une adhésion à son projet qu'aurait donné le peuple français qui ne peut se résumer aux 24 % de nos compatriotes qui lui apportèrent leurs suffrages lors du premier tour. Si tel était le cas, les déconvenues seront rapides, nombreuses et pourraient déboucher sur des situations incontrôlables.

Car cette campagne a mis en lumière la profondeur des fractures, des malaises, des souffrances, de la colère des Français contre ce qu'ils appellent le "système." Ce n'est pas faute d'avoir prévenu avec d'autres, certains responsables politiques, intellectuels, chercheurs, universitaires...mais force est de constater que nous n'avons pas été entendus. Pourtant, nos concitoyens ont envoyé de nombreux avertissements depuis le tournant de 1983: 21 avril 2002, 29 mai 2005...rien n'y a fait. Aujourd'hui, la question européenne, la question sociale, les questions de la souveraineté nationale, de l'insécurité culturelle, des fractures territoriales, où encore la désindustrialisation pèsent désormais de tout leur poids dans la structuration du paysage politique français et la nouvelle définition des clivages qui vont l'organiser.

Emmanuel Macron ne peut et ne doit pas ignorer cette nouvelle situation.

Autre enseignement, si les scores du Front national progressent partout, parfois de façon spectaculaire comme dans notre région, il est incontestable que cette formation politique va entrer dans une période de très vives tensions.

Le débat d'entre-deux tours a été révélateur de l'icompatibilité à faire cohabiter la racine historique du Front, avec cette greffe qui se veut socialo-souverainiste importée par Florian Philippot. L'attitude de Marine Le Pen sur le plateau de télévision, incarnait presque physiquement cette impossibilité dialectique. Dès le dimanche soir elle a pris l'offensive pour éviter de perdre l'initiative stratégique dans la redéfinition qu'elle veut faire de son parti qui ne peut parvenir au pouvoir tant qu'il sera ce monstre hybride incompatible avec la République. La crise qui s'y profile sera probablement très violente et se traduira certainement par une difficile campagne des législatives.

L'impasse politique que représente le FN est non seulement une réalité mais ne peut être en aucun cas une perspective si ce n'est "congeler" une partie importante de l'électorat populaire victime au premier chef des politiques de concentration des pouvoirs et des richesses, des politiques d'austérité notamment européenne. Si le Front national capte cette colère, il la transforme au mieux en rente électorale à son profit, sans vouloir en réalité à aucun moment pouvoir offrir la moindre perspective politique d'émancipation individuelle, économique et sociale.

C'est en fait l'ensemble de la vie politique française qui passe à la moulinette des contradictions internes et des nouveaux rapports de forces qui traversent toute la société. A cela s'ajoute de nouvelles problématiques qui ne peuvent se limiter à une analyse "marxisante" classique. La transformation des rapports sociaux, la crise profonde des repères identitaires (culturels, institutionnels, économiques...) bouleversent des équilibres qui pouvaient sembler acquis.

Réduire Emmanuel Macron au candidat du CAC 40, ne nous permettra pas de saisir l'ampleur des transformations parfois violentes que connait notre pays. L'exigence républicaine et l'excercice de la raison seront d'autant plus nécessaires que les forces politiques nouvelles qui émergeront devront probablement affronter des situations inédites tant du point de vue idéologique que politique et culturelle. 

Il est donc déterminant de bien comprendre le nouvel environnement idéologique dans lequel nous venons d'entrer afin de comprendre quels sont les espaces politiques qui ne manqueront pas de s'ouvrir. La crise de la "gauche de gouvernement" est patente, la droite républicaine est en mauvaise état, le FN est victime de contradictions internes qui peuvent amener à son éclatement, tandis que la France Insoumise a surgit dans ce contexte de délabrement général, portée par le talent de Jean-Luc Mélenchon. Incontestablement de brillantes personnalités sont apparues mais elles ne seront rien sans un ancrage profond dans la République et dans notre histoire dans toute sa profondeur afin de la mettre en dynamique et offrir une nouvelle perspective politique au peuple français.

Une nouvelle bataille idéologique s'est en fait déjà engagée. Rien ne pourra se faire sans remettre en chantier toute une série de débats trop longtemps abandonnéé et qu'il faut à nouveau questionner. Car il ne faudrait pas que le jour où madame Le Pen nous annoncera que la terre est ronde, qu'il nous faille affirmer qu'elle est plate pour "faire barrage."

Claude NICOLET

Secrétaire général adjoint de République moderne