Claude NICOLET

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Claude_NICOLETL'annonce faite par Jean-Pierre Chevènement de sa candidature à l'élection présidentielle de 2012 (qu'il officialisera à l'automne) provoque de nombreux commentaires, souvent arrogants ou condescendants, essayant de tourner cette perspective en ridicule ou de la colorer d’un air saisonnier. C'est déjà en soi un paradoxe. Alors que beaucoup veulent souligner sa marginalité, la dimension "groupusculaire" du MRC, la faiblesse de son organisation, on assiste à un tir de barrage pour contrer tant d'insignifiance supposée.

Y aurait-il malgré tout plus de crainte qu’on veuille bien le dire ? Comme toujours, la réalité de la menace se situe dans l’ampleur de la réaction. Immédiatement on sort du placard (ou de l’étui à révolver) le spectre du 21 avril 2002. «Chevènement a fait perdre Lionel Jospin, il a permis à Jean-Marie Le Pen d'être au second tour, il va remettre ça, le risque de la division va favoriser le Front national, il veut négocier pour les législatives.... ».

Tout d'abord, et même si c'était vrai, qu'y a t-il de déshonorant à discuter des élections ? Il s'agit tout simplement du jeu normal de la démocratie et du bon fonctionnement de la République. Tous ceux qui se drapent dans la vertu outragée et se veulent les parangons de la morale politique n’ont-ils jamais participé à une négociation ? Ne doivent-ils leurs sièges de députés qu'aux seules voix d’un seul parti politique ? Allons, tout cela n'est pas sérieux et ne mérite pas qu'on s'y attarde davantage.

En revanche, d’autres prennent avec beaucoup de sérieux l’annonce de cette candidature...Ce qui selon moi est déjà un signe d'intelligence politique.

Mais regardons de plus près cet argument d'un nouveau 21 avril 2002. A l’époque une gauche défaite et le choix entre Chirac et Le Pen. Le salut de la gauche française se cache t-il dans l'arithmétique ou dans les lois de la physique espérant un retour de balancier ? Bien sûr que non. Le divorce entre les catégories populaires et la gauche est inversement proportionnel à la côte de popularité de Marine Le Pen. Faut-il rappeler que seul 11% des ouvriers ont voté Jospin en 2002 ? Dix ans plus tard où en sommes-nous ? Car le fond du problème est bien là. Ce gouffre est-il comblé ?

21 avril 2002-29 mai 2005 pourquoi refuser de faire le lien. Pourquoi ne pas voir que le refus d'accepter le résultat du référendum sur le Traité constitutionnel européen a considérablement bloqué les marges de manœuvre de la gauche en général et du PS en particulier. Or, que ça nous plaise ou non, le PS qui tient une bonne partie de la solution. Parce qu’il est le centre de gravité de la gauche française pour le meilleur et pour le pire.

Malgré tous ses efforts pour mettre le couvercle dessus, les questions européennes font à nouveau surface au PS, tant sur l’euro que sur le libre-échange. Comme une mauvaise conscience qu’on ne parvient pas à évacuer définitivement et qui taraude l’esprit parce qu’elle nous met en contradiction permanente et porte atteinte à notre crédibilité. Saura t-il faire cet effort sur lui-même pour le pays ? A lire les dernières propositions de Terra Nova sur les "cibles électorales à privilégier", il est légitime de nourrir de très fortes inquiètudes. Car l’œil de Maastricht regarde le progrès social dans sa tombe.

Comment dans ces conditions tracer des perspectives politiques permettant de répondre à la crise profonde dans laquelle nous sommes plongés. Ce refus d'entendre l'expression du peuple souverain ne peut avoir que d'importantes conséquences dans le comportement électoral du peuple français. Par ailleurs, le simple fait que le Front National puisse à nouveau être présent au second tour de la présidentielle, illustre que la crise politique qui a éclaté au grand jour le 21 avril n'est toujours pas réglée et qu'elle ne devait rien au hasard ni à la présence de tel ou tel candidat. Ceux qui pensent le contraire refusent de voir la réalité en face et ne souhaitent pas ou n’imaginent pas que l'on puisse s'attaquer aux vrais problèmes.
Si le premier d'entre eux est l’ampleur des dégâts provoqués par la crise financière, les causes, les relais parmi lesquels les politiques misent en œuvre par l'Union européenne ne sont pas suffisamment analysés.

Le fonctionnement de l'euro, les statuts de la banque centrale européenne, notre politique industrielle (ou son absence), notre relation avec l'Allemagne, le libre-échange, la mise à l'écart des peuples donc de la démocratie : voilà quelques-unes des vraies questions. Les déficits publics, les dettes souveraines font désormais figure d’épouvantail voire de mal absolu qu’il faut exorciser. Certes une économie trop ou mal endettée pose problème mais ce n’est pas en ces termes que la question doit être posée.

Est-il légitime que les parlements nationaux soient mis sous la tutelle de l’Europe ? Du FMI ? Est-il légitime que les salaires soient baissés ainsi que les retraites, les pensions et les prestations sociales ? Est-il légitime que soit mise en place une économie de la rente, de la captation de la richesse produite au profit de quelques-uns ?
Est-ce là le sens du progrès promis par l’Europe ? Est-il légitime que le fonctionnement de l’Euro ne puisse faire l’objet d’aucun débat démocratique ? Est-il légitime que la Banque Centrale Européenne n’ait aucun compte à rendre sur sa politique ?

Au plus profond d’eux-mêmes, les peuples européens sentent et savent intuitivement que c’est leur liberté même qu’on est en train de voler. Il suffit de voir les réactions populaire en Grèce où au Portugal par exemple. Alors ils votent « populiste » un peu partout parce qu’ils ont le sentiment que les partis politiques, dit de gouvernement, les ont mis dans cette situation. Et de plus en plus ils regimbent, ils renâclent, ils refusent de « sortir » de l’histoire.

Il est difficile, voire périlleux et pour tout dire impossible, d’exiger d’un peuple qu’il renonçât  à lui-même. Or, la France n’est pas « l’homme malade » de l’Europe. Elle est là, bien vivante, ne demandant qu’à donner le meilleur d’elle-même dès lors qu’on saura lui parler et lui redonner confiance. Cela signifie entretenir une relation particulière avec le pays. C’est le sens de l’élection du président de la République au suffrage universel. C’est une réflexion permanente sur notre histoire qui doit être une source constante d’interrogation et d’analyse. La France doit être un questionnement de chaque instant, la mise en pratique du « doute méthodique » parce que nous sommes les héritiers du siècle des Lumières et que nous sommes de ceux qui ont hissé l’homme au niveau de l’universel. Dans cette perspective, le « sens » que nous donnons à notre histoire n’existe que si l’on donne une signification à la France, c'est-à-dire aujourd’hui à la République. Elle est la manifestation, l’expression d’un corps vivant. « Un plébiscite de tous les jours » disait Renan. Cela sous-entend de réfléchir sur le sens même des mots que l’on utilise, d’être sûr que l’épaisseur historique d’un pays et d’un peuple est en soi une donnée politique.

Car la République n’est pas un âge d’or ou une nostalgie, elle est une perpétuelle conquête de l’avenir et du progrès social. Elle ne peut donc, intellectuellement parlant, laisser borner son horizon par les marchés ou la lutte contre l’inflation. L’histoire des peuples, c’est la longue durée, ce n’est pas l’impulsion électronique des transactions boursières.

Certes le risque du repli existe, il ne faut pas le nier. Tout comme existe en France la perspective d’une refondation des droites. Le danger est réel car deux phénomènes se conjuguent. L’affaiblissement de l’idée républicaine qui permet à l’extrême droite de poursuivre sa percée et la réapparition du clivage européen dans la droite dite républicaine.
Il ne faut se faire aucune illusion sur la prétendue conversion républicaine du Front National. L’extrême droite française est consubstantiellement anti républicaine. Elle s’est fabriquée dans le chaudron de la contre révolution et du combat contre la République, la «gueuze». Les grands républicains du XIXème siècle et de la troisième république ont eu l’intelligence de mettre en place les digues qui ont permis de marginaliser ces forces obscures. Le tournant fut l’affaire Dreyfus que les républicains
portèrent à son terme en 1906 avec la réhabilitation complète du courageux capitaine.

Or l’affaissement républicain auquel on assiste chez une grande partie de nos « élites » qui ne croient plus ou ne savent plus ce qu’est la République, ouvre des brèches considérables dans lesquelles s’enfonce l’extrême droite qui peut y trouver les conditions d’une revanche politique historique. A la fois sur 1789, sur la honte de la collaboration, sur ses engagements colonialistes en particulier la guerre d’Algérie et l’OAS, ainsi que sa haine du communisme.

Par ailleurs, il faut tenter de comprendre ce qui ce passe à droite. L’éclatement de l’UMP a bel et bien commencé. Le départ de Jean-Louis Borloo et la réorganisation du centre en force politique détachée de la formation présidentielle en est l’illustration. Qu’est ce qui avait permis la création de l’UMP et le rassemblement des droites de tradition orléaniste et bonapartiste pour parler comme René Rémond ? En grande partie le fait que la question européenne avait été réglée entre l’UDF et le RPR. Dès lors que ces deux formations de sensibilité certes différentes étaient d’accord sur les choix européens et atlantistes qui conditionnent nos grandes orientations politiques et stratégiques, rien ne s’opposait à la création d’une nouvelle confédération des droites. Or la question européenne de même que celle concernant l’OTAN refont violemment surface à l’occasion de la crise financière et des engagements tous azimuts de nos forces armées. L’euro est mis en cause dans son existence même. Les conditions du consensus d’hier disparaissent chaque jour davantage. La fuite en avant libéral nourrit l’affaiblissement de l’esprit public qui lui-même renforce l’extrême droite.

A contrario de la droite, cette question de la nature libérale de la construction européenne a toujours et continue de faire débat à gauche. Tant avec le parti communiste qu’avec la gauche républicaine. Ce qui a d’ailleurs entraîné la rupture de 1992 au sein du PS en donnant naissance à cette date au Mouvement des Citoyens créé par Jean-Pierre Chevènement.
Cette question essentielle est toujours pendante. Au grand dam de tous ceux qui souhaiteraient tant voir la France et le peuple français se fondre (dans tous les sens du terme) dans l’ordre libéral.

« Chassez ce Chevènement de notre tête » avait écrit un bien pensant bien en vue. Tout comme « l’idéologie française » ne peut exister que si l’on confond la République avec le régime de Vichy, Pétain avec de Gaulle, la France avec le repli, la nation avec le nationalisme; les professionnels de la confusion font tout pour brouiller les pistes. Ils ont tant à perdre.

Jean-Pierre Chevènement rappelle tout cela, trace une perspective et ça ne fait pas toujours plaisir.

Claude NICOLET