Voici ma dernière interview parue ce mardi 25 septembre 2018 dans l'Est éclair.
L'Est éclair : Notre pays est en train de traverser une crise majeure. Crise de la citoyenneté, crise sociale, crise identitaire et culturelle, crise de confiance, crise politique… La République est elle en danger selon vous ?
Claude Nicolet : C'est une crise multiforme et profonde que traverse notre pays. Elle vient de loin, c'est une source d'angoisse majeure pour nos concitoyens dont 80% sont inquiets pour l'avenir de nos enfants. Le modèle dans lequel on tient à tout prix à nous faire entrer, celui de la construction européenne d'inspiration néolibérale, en vidant les nations de leur souveraineté, détruit les imaginaires collectifs en les remplaçant par la concurrence généralisée de tous contre tous et de la financiarisation de l'économie qui détruit notre industrie et notre compétitivité. Ces crises sont dangereuses car elles touchent à l'essentiel: l'idée que nous nous faisons de nous même, en tant que peuple, que Nation. Je suis de ceux qui considèrent qu'il faut prendre avec beaucoup de sérieux les questions d'insécurité culturelle car c'est un moteur puissant sur lesquels prospèrent toute une série d'extrémistes de droite comme de gauche qui n'aiment pas la République. Cela dit, la République est solide, mais elle est mis à mal depuis longtemps. Les attentats ont montré que les Français y étaient fondamentalement attachés, ils ont fait preuve d'un sang froid remarquable que je salue. Mais incontestablement le socle républicain aujourd'hui est attaqué de toutes parts. Il faut le rebâtir. C'est le grand enjeu.
EE - L'année 2017 restera dans l'histoire comme la fin d'un partage du pouvoir entre deux grands partis politique libéraux et européens. Que cela vous inspire t-il ?
CN - Que les Français ont envoyé de nombreux messages avant d'en arriver là, notamment électoraux. 21 avril 2002, 29 mai 2005, Sarkozy battu en 2012, Hollande incapable de se représenter en 2017. C'est l'épuisement d'un système et surtout de politiques finalement proches l'une de l'autre au nom des "contraintes européennes" qui se sont considérablement renforcées avec la discipline austéritaire liée à l'euro qui fonctionne surtout au profit de l'Allemagne. Cet éclatement aurait pu être une chance pour le pays à condition d'être prêt à renverser la table, notamment au niveau européen et dans le dialogue à entamer immédiatement avec l'Allemagne. Ce ne fut pas le cas, mais au contraire un tour de vis budgétaire pour rentrer dans les clous des critères de Maastricht. Funeste erreur. Emmanuel Macron est désormais plus le symptôme d'une société malade que la possibilité de mettre en œuvre une véritable perspective politique pour le pays. Il se retrouve à la tête d'une "synthèse des centres" qui est d'ores et déjà aux abois. Le Nouveau monde est un leurre qui a déjà cessé d'exister. Le combat aujourd'hui, c'est la reconstruction du socle républicain. Je partage l'analyse de Chevènement, le "moment républicain" doit advenir, le véritable bouleversement est là.
EE - En début d'année, le MRC appelait à l'émergence d'une force politique nouvelle pouvant rassembler toutes les gauches ? La refondation républicaine que vous appelez de vos vœux passe t-elle toujours par cette ambition ?
CN - Ce sera à notre congrès (décembre 2018) d'en décider. La "gauche" est en très mauvais état. Elle ne sait plus qui elle est et pour le moment, où elle va. Représente t-elle un arc qui irait de Moscovici au NPA? Vous comprenez immédiatement l'ampleur du problème. Une multitude de clarifications sont nécessaires, sur des points cruciaux comme l'Union européenne, la laïcité, la question sociale, les services publics, l'énergie, la défense, les migrations, l'industrie, l'environnement...la tache est immense. A mes yeux, la question centrale est celle de la reconstruction du socle républicain et de la promesse qui l'accompagne. La société française est fracturée, divisée, la violence néolibérale produit des effets dévastateurs. Notre objectif n'est pas seulement de s'adresser à la gauche et de la refonder (ce qui est nécessaire), il faut surtout être à la hauteurs des défis auxquels nous sommes confrontés. Notre souci doit d'abord être celui de la France, des Français et de la République. Les petits calculs électoraux n'ont plus aucun avenir et sont désespérants.