Claude NICOLET

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Le PDG d’EDF vient de faire une déclaration fracassante qui n’a quasiment pas été reprise. Et pourtant...Jean-Bernard Lévy n’a pas hésité à mettre les pieds dans le plat en déclarant que « la commission européenne voulait l’éclatement d’EDF ». Une telle déclaration, de l’un des plus puissants patrons de France, de la part du dirigeant de l’un des plus puissants énergéticiens mondial aurait, dans un pays normal dû faire l’effet d’une bombe et la « Une » de tous les journaux télévisés...Non. Bien sûr que non. Nos intérêts les plus fondamentaux sont en jeux mais on nous parle de Harry et Meghan. Nous pourrions finir par croire que les plus outrageusement privilégiés sont également des nôtres et qu’il nous faut les défendre.

Le néolibéralisme nous assigne à l’indécence du spectacle des fortunes les plus colossales pendant que dans l’ombre se déroule les vrais affrontements et que s’organise la violence économique et sociale. De quoi s’agit-il ?

Comme on le sait, suite à Fukushima, Angela Merkel et la droite allemande (CDU/CSU/FDP)annoncent la sortie du nucléaire. C'était une coalition uniquement de droite : conservateurs et libéraux.

Cette décision a été prise dans une certaine précipitation, sans véritable préparation avec les industriels, auxquels la même coalition avait demandé d'investir en 2009 pour la prolongation des centrales au moins jusqu'en 2036.

Il est nécessaire de se souvenir d'un certain nombre d'éléments qui aident à fixer le contexte et à comprendre la situation et les enjeux d'aujourd'hui.

  • En 2000 : la coalition rouge (298 députés) et verte (47 députés) négocie avec les producteurs d’électricité d’origine nucléaire un plafonnement des quantités d’électricité à produire. Cela conduit à un arrêt progressif jusque 2022. Accord qui ne débouche sur aucune plainte civile des producteurs.
  • En 2009 : la coalition noire (239 députés) - jaune (93 députés) CDU/CSU/FDP (Parti libéral démocrate) décide d’augmenter fortement les quantités à produire, ce qui porte l’arrêt de la dernière centrale à 2036.
  • mars 2011 : suite à Fukushima, mais aussi suite à la lourde défaite électorale de la CDU le 25 mars 2011 en Bade-Württemberg, les Verts prennent le Länd, le gouvernement CDU/CSU/FDP, Angela Merkel décide un moratoire immédiat sur le nucléaire et l’abandon de celui-ci à horizon 2022.
    L’abandon du nucléaire est donc décidé par un gouvernement conservateur qui prend la mesure du rapport de force politique en Allemagne.

Merkel sait également que l'arrêt du nucléaire entrera plus facilement en résonance avec l'histoire allemande qu'en France. L’imaginaire a ici aussi toute sa place.

  • En mars 2021 : suite aux plaintes des producteurs de nucléaire, qui avaient entamé des investissements en 2010, favorisés par le report de la fermeture des centrales, l’État allemand convient d’un compromis avec ces entreprises et paye 2,4 milliards d’euros à celles-ci en compensation de sa décision prise en 2011.

C’est ainsi qu’il faut aussi comprendre la volonté de la commission européenne sous pression allemande de démanteler EDF pour enlever à la France cet "avantage comparatif" que représente notre parc électronucléaire. Les questions environnementales n’ont pas grand chose à voir là dedans d'autant plus que nous savons que l'électricité d'origine nucléaire est la moins carbonée , la moins chère et la plus fiable en terme de capacité de production. Il suffit de regarder les comparatifs entre la France et l'Allemagne que produit chaque jour RTE par exemple.

Fukushima a donc été le moyen et le prétexte pour opérer un virage politique par la CDU/CSU face à une situation qui commençait à lui échapper. La question de la "sortie du nucléaire" doit être comprise dans ce contexte. Et il était impossible pour l'Allemagne qu'elle le fasse seule, pour des raisons de compétitivités économiques. La Belgique notamment s'est retrouvée aspirée dans le tourbillon et se retrouve aujourd’hui avec une politique énergétique totalement chaotique. Les problématiques des énergies renouvelables sont également à replacer dans ce contexte Je pense à l'éolien où l'Allemagne possède une avance industrielle sur la France qui est réelle.

Dans ce jeu qui se joue actuellement et dans lequel les citoyens français sont maintenus dans une ignorance totale, ce qui est un véritable scandale, nous avons beaucoup à perdre.

Il n'est absolument pas question ici d'intérêt général européen, encore moins de "souveraineté européenne" mais de rapport de force pur et dur sur des questions géopolitiques et stratégiques d'une importance considérable pour les intérêts français.

Tout cela est habilement masqué par les discours du politiquement correct et de la nécessité de "sauver la planète." La réalité est tout autre, il convient tout simplement de sauver l'un de nos derniers champions industriels qui permet encore à la France de peser dans le monde. Je sais que ce discours n'est pas politiquement correct mais il faut le tenir et tenter de faire prendre conscience des enjeux.

Tout doit être fait pour "sauver" EDF et il est à mes yeux inconcevable, que des formations politiques, en France, se font les relais de ces thèses et affaiblissent notre position. Faut-il rappeler les propos d'Eric Piolle, maire EELV de Grenoble, potentiel candidat à la présidentielle et reprenant les propos d’un ancien Premier ministre japonnais "une bonne centrale nucléaire est une centrale nucléaire fermée..."

Ces enjeux sont complexes et fondamentalement politiques qui conditionnent notre avenir même en tant que grande puissance. La volonté de l’État est ici déterminante.

Quant aux sociaux-démocrates allemands, eux aussi avaient accepté la fin du nucléaire civil dans le cadre du compromis qu'ils avaient passé avec les Verts (Agenda 2010) dans la coalition emmenée par Gërart Schröder. Le compromis pour avoir les Verts était simple, en échange de leur participation à la coalition qui a mis en œuvre les fameuses réformes du travail, des retraites et des assurances sociales (les fameuses loi Hartz), die Grünen obtenaient des socialistes allemands la fin du nucléaire. Cette politique de démantèlement de l’État social en Allemagne a coûté les élections aux socialistes et amené Angela Merkel au pouvoir depuis. Fondamentalement, le SPD ne s'est toujours pas remis de cet épisode qui a vu par ailleurs surgir un puissant parti d'extrême droite l'AFD.

Voilà de quoi on parle en réalité quand on parle énergie. Voilà l'arrière plan quand on évoque la centrale nucléaire de Gravelines, l'implantation d'un parc éolien offshore au large de Dunkerque ou l'envahissement d'éoliennes terrestres dans tout les Hauts de France. Tout est lié.

Alors que s’ouvre la campagne des élections régionales et que la présidentielle approche à grands pas, qu’elles seront les formations politiques qui seront clairement des partenaires d'EDF dans les Hauts de France et en France sur cette question aussi importante? S'opposeront-ils au projet Hercule (éclatement d'EDF voulu par Bruxelles et Berlin en sous-main), défendront-ils les salariés d'EDF, préserveront-ils l'identité énergétique de notre région ? Soutiendront-ils la filière nucléaire qui reste une filière d'excellence industrielle ? Soutiendrons t-ils le projet d’implantation d'EPR à Gravelines et ailleurs ? Entendront-ils nos concitoyens de plus en plus hostiles à l'éolien qui n'est pas, loin s'en faut, une solution pérenne. Soutiendront-ils les intérêts de la Région et de la France dans cette lutte violente en Europe mais aussi dans le monde ? S'adresseront-ils à l'intelligence et au patriotisme de nos concitoyens qui sentent bien qu'il y va de ce que nous sommes, de nos emplois, de notre capacité à rester une puissance industrielle et technologique dans cette compétition acharnée. Sont-ils prêts à abandonner les postures idéologiques voire démagogiques afin de servir l'intérêt général c'est à dire l'intérêt du pays et des Français.

Même si pour certaines d’entre-elles je ne me fais guère d’illusion, il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre.