Ma tribune publié le 23 juin sur le site RT France
Incontestablement, les éoliennes sont les invitées surprises de ces élections départementales et régionales. En fait, nos concitoyens se sont emparés de ce moment pour en faire un levier, un outil au service de leurs préoccupations. Certes, le RN tente d'en faire ici ou là un étendard. A l'inverse, les partisans instrumentalisent tout autant en essayant de transformer en horribles fascistes celles et ceux qui ont le mauvais goût de se poser des questions voire de s'y opposer.
A l'image du «front républicain» qui ne convainc plus grand monde, il est frappant de constater que toute une partie du «cercle de la raison» condamne désormais et qualifie d'extrémiste de droite le citoyen qui exerce tout simplement son libre arbitre et sa capacité de réflexion. Transformant le fameux «Je pense donc je suis» de Descartes qui est l'un des fondements de notre culture et de notre identité politique en «Tu penses, donc tu hais», ce retournement, destructeur est l'une des fractures françaises qu'illustrent les conflits des éoliennes.
Ce qui est particulièrement frappant est de constater la multiplication des collectifs, associations, groupements divers et variés de citoyens français qui s'organisent, dans l'immense majorité des cas de façon totalement autonome et indépendante des partis politiques, des «débats publics» ou des syndicats. C'est à la fois révélateur de la méfiance, voire du discrédit des organisations collectives «officielles» mais également réjouissant de voir ce regain démocratique et cette volonté d'auto-organisation.
Lire aussi Esprit libre, Stéphane Bern s'affirme «un peu révolté et lanceur d'alerte» sur le patrimoine français (image d'illustration). Stéphane Bern : «Moi qu'on imagine au mieux avec le pouvoir, je suis sur les barricades» (ENTRETIEN) Partout les éoliennes suscitent désormais une opposition qui va bien au-delà du simple refus d'en avoir au bout de son jardin. Ce qui apparaît clairement, c'est qu'il n'est plus possible de séparer la question énergétique de la question démocratique. Or, l'irruption de la question démocratique, donc de la raison, dans un environnement totalement sous l'emprise de l'idéologie dominante – qui a transformé la question énergétique en véritable morale (le bien et le mal) – ne peut que provoquer un véritable choc.
Ce qui me frappe, c'est la qualité avec laquelle nos concitoyens s'organisent, se renseignent, s'informent et informent, se mobilisent, mettent sur pied des réunions publiques, des manifestations. J'ai vécu de semblables moments lors du référendum de Maastricht en 1992 mais surtout lors de celui du 29 mai 2005 sur le traité constitutionnel européen. Ils connaissent les enjeux, maitrisent l'agenda politique et se moquent de savoir si les éoliennes sont dans les compétences des départements ou des régions. Ils veulent désormais reprendre en main le cours de leur destin et celui de leur pays et pour cela, hors de question de se laisser enfermer dans un quelconque «agenda».
Les éoliennes sont devenues le symbole et la synthèse d'un ensemble de problématiques et de malaises français
Car ils comprennent de plus en plus et de mieux en mieux que, derrière la «lutte contre le changement climatique» (que personne ne remet en cause), c'est d'autre chose dont il est question : la souveraineté énergétique de la France, la destruction de ses paysages, les enjeux géostratégiques et géopolitiques, les rapports de force sans pitié au sein de l'Union européenne (en particulier le rapport franco-allemand), la destruction d'EDF, du service public de l'énergie et de sa mise à l'encan sur le marché mondial via des multinationales complètement intégrées au système financier et néolibéral. Ils comprennent de plus en plus que c'est aussi et peut-être même surtout, de cela dont il s'agit. Evidemment tout cela ne semble pas très «vert». Or, la pression idéologique ne peut s'accommoder longuement avec un mouvement de fond qui tente de sortir de la situation dans laquelle on cherche à l'enfermer.
Les éoliennes sont devenues le symbole et la synthèse d'un ensemble de problématiques et de malaises français. Ceux-ci s'attaquent actuellement à l'une des dernières fiertés françaises, c'est-à-dire la beauté de nos paysages et la fierté tranquille qu'elles nous inspirent. Il ne faut pas négliger l'attachement «charnel» des Français à la beauté de notre pays. Or, cette atteinte majeure à ce qu'ils considèrent, à juste titre, comme étant leur patrimoine, se greffent sur un sentiment profond de délitement du pays sur lequel j'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer dans ces colonnes. Nos compatriotes font de moins en moins le lien entre la nécessité de lutter contre le changement climatique et le saccage de nos paysages, la lutte indispensable contre les rejets de CO2 et la multiplication par deux du nombre d'éoliennes. Dans le même temps, le citoyen redécouvre que l'électricité d'origine nucléaire n'est pas sans vertus loin s'en faut : décarbonée, elle fait de la France une grande puissance énergétique. Le citoyen comprend également de mieux en mieux que tout cela est l'enjeu de gigantesques négociations au sein de la Commission européenne, que l'Allemagne et son industrie aimeraient bien ne plus avoir EDF comme concurrente, que la transition écologique allemande et son programme d'arrêt du nucléaire est loin d'être une réussite. Oui c'est de tout cela dont on parle dans les collectifs.
[Un] sujet qui est à la fois, industriel, technocratique, touche à notre souveraineté et à la maîtrise de notre destin
En outre, les Français perçoivent de mieux en mieux la globalité des enjeux que recouvrent ce sujet qui est à la fois, industriel, technocratique, touche à notre souveraineté et à la maîtrise de notre destin. Loin d'être un refus de lutter contre le changement climatique, ils refusent de prendre des vessies pour des lanternes dans un contexte d'immense discrédit de la «classe politique.» Question énergétique, question démocratique, enjeux globaux... nos concitoyens font le lien et ne supportent plus les leçons de morale de la ministre de la Transition écologique Madame Barbara Pompili comme de tant d'autres. Car ils sentent bien que ce «modèle» qu'on leur propose n'est qu'un moyen supplémentaire de les empêcher de reprendre en main notre destin collectif.