Claude NICOLET

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rgionales_2010Il est toujours nécessaire de prendre un peu de temps pour réfléchir à la situation de notre pays. Incontestablement les élections régionales qui viennent d'avoir lieu, sont riches d'enseignements. Comme je m'y étais engagé il y a quelques jours, je livre ici à la sagacité et à la réflexion de chacun, une analyse à l'issue de ce scrutin.

I) Situation Politique.

La droite française vient de subir une défaite historique à l’occasion des dernières élections régionales. Seuls 17% des électeurs inscrits se sont prononcés en faveur des listes UMP-Nouveau Centre. C’est une traduction supplémentaire de la crise profonde que traverse l’électorat de droite profondément perturbé par les politiques mises en œuvre par Nicolas Sarkozy. Si le candidat de la campagne présidentielle avait fédéré la droite, le Président au contraire est en train de la faire éclater. Sa stratégie qui avait pu séduire par son « dynamisme » et ce qui semblait être du volontarisme, n’a pas résisté à deux ans et demi de pratique du pouvoir. Sa détermination à mettre à bas le modèle social issu du Conseil National de la Résistance, articulée à l’étalage indécent de sa vie privée et l’affichage de sa connivence avec les milieux d’argent en pleine crise financière et sociale ont gravement porté atteinte à sa crédibilité et à l’image de respectabilité de la fonction présidentielle à laquelle les Français sont très attachés. L’échec électoral des régionales de la droite n’est pas uniquement dû à une mauvaise conjoncture. Ce n’est pas l’échec du parti unique de la droite. C’est d’abord fondamentalement l’échec d’un choix idéologique nourri à la mamelle du néo-conservatisme américain. Ce rejet est salutaire mais il a aussi accentué le malaise français.


La gauche quant à elle, à l’occasion des Régionales, vient de remporter un beau succès électoral qu’il serait d’autant plus ridicule de contester que nous y avons pris toute notre part. Succès à nuancer cependant : seul 25% des inscrits nous ont fait confiance. Et le taux d’abstention record nous concerne tous. Plus qu’une véritable adhésion populaire, même si certain signes ont donné l’impression d’un progrès, il signifie d’abord le rejet du pouvoir en place et de ses politiques. Le sentiment de décalage entre les « élites », le monde politique et les Français n’a probablement jamais été aussi grand.

Cependant, dès le premier tour, le rassemblement du PS, du MRC et du PRG a réussi à créer une certaine dynamique qui nous a mis sur orbite pour la victoire au second. Le « lancement du 1er étage de la fusée »a réussi. L’objectif étant 2012 et l’élection présidentielle. Le succès sera au bout à la seule condition d’un vrai débat entre nous concernant les préoccupations des Français : emploi, salaires, retraites, éducation, santé... La question majeure est la question sociale.

Il est à noter que cette stratégie s’inscrit en rupture avec celle du PS lors des élections européennes. Isolé, affaibli, profondément divisé après un congrès de Reims qui l’a mené au bord du gouffre, menant une mauvaise campagne sur des thèmes illisibles pour les citoyens, refusant en réalité de faire l’analyse critique de la construction européenne malgré de timides avancées, politiquement coincé par le NON français du 29 mai 2005 et son acceptation du traité de Lisbonne ; le PS est allé aux  Européennes comme le mouton à l’abattoir. Le résultat fut conforme à ce qu’il devait être : une déroute.

A l’époque les propositions du MRC, à savoir l’organisation de primaires et la création d’un grand parti de toute la gauche s’appuyant sur une analyse sérieuse de la mondialisation financière, ne retenaient pas l’attention de Martine Aubry ni de Marie-George Buffet pour le PCF. Or à l’été 2009, changement de cap du PS.  Martine Aubry propose au PRG et au MRC une alliance durable, basée sur la confiance et dans le cadre du cycle électoral qui va des régionales de 2010 jusqu’aux législatives de 2012.  Le rassemblement est à l’ordre du jour. En revanche, le PCF fait savoir que cette perspective ne l’intéressait pas, préférant celle du Front de Gauche à laquelle il nous invitait à participer.

La participation de Jean-Pierre Chevènement à La Rochelle, en particulier lors de la table ronde où toute la gauche était présente, indiquait clairement qu’un certain nombre de sujets autrefois tabous étaient désormais abordables. Je pense en particulier au libre-échange et au protectionnisme évoqué dans son intervention par Benoit Hamon.

II) Pourquoi ?

-Parce que le PS tire les leçons de son échec électoral des européennes.

-Parce que Martine Aubry doit reprendre l’initiative au sein d’un parti et d’une opinion publique qui contestent sa légitimité après les fortes turbulences du congrès de Reims. Alors elle reprend l’idée des primaires et lance celle de la « Maison Commune ». Elle commence à s’imposer.

-Parce que le PCF adopte après bien des difficultés internes la stratégie du Front de Gauche avec le Parti de Gauche, les Unitaires et les Alternatifs, qui préfigure le positionnement des présidentielles de 2012 avec l’ambition clairement affichée du Parti de Gauche de renverser le rapport de force au sein de la gauche française) ce qui veut dire qu’il y aura une primaire à la « gauche de la gauche » entre le candidat du PCF et Jean-Luc Mélenchon). Le Parti de Gauche ayant probablement freiné le déclin du PCF.

-Parce que les choix de l’extrême gauche l’ont à nouveau marginalisé. Il semble maintenant évident que la création du NPA débouche sur un échec en raison de son refus de s’intéresser à la question de l’exercice du pouvoir. En posant un ultimatum quant à sa participation à des listes de rassemblement. En étant d’abord« anti » avant d’être force de propositions. Ce qui ne constitue pas une réponse aux problèmes des Français. Ce qui montre que l’électorat de gauche n’accepte pas désormais les « postures ». Il préfère alors le Front de Gauche comme dans le Limousin (19,2% au second tour) qui ne refuse pas d’aborder cette question. Par le fait aussi qu’il a perdu entre un tiers et la moitié de son électorat féminin suite à l’affaire de « la candidate voilée ».

-Parce que le rapport de force au sein de la gauche française, après les européennes peut donner le sentiment d’une relative évolution. La refondation républicaine passera par une alliance entre le PS, le PRG et le MRC d’abord

III) Quel est  intérêt  de la gauche,  celui de la France ?

Questions très difficiles auxquelles il convient néanmoins de tenter de répondre.
Il me semble incontestable que depuis cinq ans, un nouveau cycle politique et historique s’est ouvert en France et en Europe. On peut très précisément le dater du 29 mai 2005 avec la victoire du NON au référendum sur la Constitution européenne. Comme tous les évènements de dimension historique, les conséquences s’en font sentir à plusieurs niveaux, avec des temporalités différentes. La stupeur dans un premier temps des partisans du OUI, puis ensuite l’organisation de la riposte politique et idéologique avec la mise en place du  « mini traité de Lisbonne » votés par les parlementaires : L’UMP aux ordres et qui a terminé sa mue libérale et une bonne partie du PS qui reste « euro-libéralo-compatible ».

Mais là comme ailleurs la réalité s’impose et le Tsunami annoncé par le congrès du MRC en juin 2008,  déferle sur les rivages du monde et dévaste quasiment tout sur son passage dès juillet 2007.

Rien des critères de Maastricht en passant par le pacte de stabilité ou le rôle de la BCE ne peut faire face à la violence de la crise qui secoue les marchés financiers et le crédit mondial. Je ne reviens pas sur l’analyse de celle-ci.
Aujourd’hui, dans le monde tel qu’il est, l’ensemble des contradictions sautent aux yeux de toutes celles et ceux qui veulent bien se donner la peine de regarder les choses en face. Ces contradictions sont telles, qu’elles deviennent littéralement insoutenables pour l’immense majorité de la population.

C’est l’effondrement de notre tissu industriel et son cortège de délocalisation, c’est la mise à mal de notre modèle de protection social et de santé, c’est la disparition annoncé de pans entiers des services publics, c’est la remise en cause des retraites et des pensions. C’est un système monétaire européen déjà à bout de souffle après à peine dix ans d’existence et totalement inadapté aux circonstances actuelles. Aucune vraie politique de change, pas de direction politique et démocratique de la zone euro, pas de vraie politique commerciale, une obsession de l’inflation…
Autrement dit un fonctionnement des institutions européennes génétiquement programmées pour une époque qui est désormais derrière nous. Des institutions qui sont donc historiquement condamnées. La décision du Tribunal Constitutionnel de Karlsruhe le 30 juin 2009 le confirme.

IV) De l’Allemagne.

Pour aller à l’essentiel, l’une des principales difficultés qui est devant nous est non seulement l’équilibre des pouvoirs en Europe mais aussi l’organisation politique du leadership européen. Peut-on accepter d’avoir un euro qui ne fonctionne essentiellement que dans le cadre des intérêts économiques allemands ? La politique allemande de pression sur les salaires satisfait une économie tirée aujourd’hui par sa production à l’exportation. L’Allemagne a fait le choix d’un euro fort et donc de salaires faibles pour intégrer son économie dans la mondialisation. C’est plus un choix allemand, qu’un choix européen. Même l’agriculture allemande exporte aujourd’hui plus que l’agriculture française.

Or l’équilibre franco-allemand est la garantie d’un bon fonctionnement de l’Europe.

L’objectif stratégique de la France doit donc être de se donner les moyens politiques de rassembler autour d’elle d’autres puissances européennes qui ne peuvent suivre un pareil choix quant au développement de leur économie et de leur société. La Grèce ne le peut pas, l’Italie non plus ainsi que l’Espagne et le Portugal. Quant à la Grande Bretagne, elle joue son propre jeu. La pression sur les salaires en Allemagne ne sera pas éternellement soutenable. Sauf à s’inscrire totalement dans le jeu de la globalisation et en ne tenant compte que de ses propres intérêts nationaux. Ce qui semble être de plus en plus le cas et faire assez largement consensus en Allemagne. La croissance démographique française au contraire de l’allemande nous oblige à nous pencher sur ces questions  que bon nombre refuse d’examiner. Mais les contradictions sont là, désormais évidentes. Autrement dit le choix de la monnaie et de son fonctionnement sont aujourd’hui des débats de fond.
 
Peut-on imaginer une zone euro qui serait en réalité une zone « Deutsch Mark » revisité ? Et de l’autre une zone euro qui fonctionnerait selon les principes d’une monnaie commune et non d’une monnaie unique ? Peut-on, doit-on proposer que la France et l’Allemagne ne partagent plus le même destin monétaire ? Est-ce souhaitable ? Une zone euro à géométrie variable en quelque sorte. Est-il envisageable de conserver un taux de croissance à long terme qui navigue glorieusement entre 0,8 et 1,5% en Europe quand tout va bien ? Nous savons tous que ce n’est pas « durable » ou « soutenable ». Derrière ces chiffres ce sont les destins de notre pays et du continent qui se jouent.

Car ce qui transparait derrière tout cela, c’est la divergence de nos fonctionnements, de nos économies, de nos intérêts. Or les solutions sont limitées. Soit nous trouvons un arrangement politique au sein de la zone euro ce qui est souhaitable car l’euro est une réalité historique. C’est la mise en place du gouvernement économique de la zone euro que nous souhaitons. Soit nous ne changeons rien et c’est une France inféodée, politiquement, économiquement, financièrement à l’Allemagne ou l’explosion de la zone euro.

Ce qui apparait, c’est qu’il faudra, d’une façon ou d’une autre trouver des marges de manœuvres si on veut que la gauche française, mais aussi les gauches européennes, sortent de la nasse dans laquelle elles sont enfermées.

V) Car les temps changent.

-1989 : Effondrement du Mur de Berlin permet aux forces néolibérales puis néoconservatrices, de se répandre sur le monde.  Ces forces réactionnaires se transforment ouvertement en forces de guerre à l’occasion des attentats du 11 septembre.

-2005 : Les NON français et néerlandais. Les Français ne croient plus au rêve européen qu’on leur a vendu en 1992 à l’occasion du traité de Maastricht. Celui-ci se transforme en cauchemar. Preuve en est, alors que les jeunes avaient massivement soutenus Maastricht, treize ans plus tard, alors qu’ils sont rentrés sur le marché du travail avec d’immenses difficultés, ils rejettent massivement la constitution européenne. Ce qui fait dire à Jean-Pierre Chevènement : « Nous avons gagné Maastricht en appel ». Maastricht et surtout les choix politiques et économiques qu’il portait, produit ses effets.

-La crise de la globalisation financière qui éclate en juillet 2007 sera d’une part un terrible révélateur des choix politiques qui ont été fait et qui ont permis  de tels résultats; mais aussi un accélérateur quant à l’évolution du rapport de force idéologique. Elle place devant leurs contradictions, leurs incohérences, mais aussi leurs responsabilités, celles et ceux qui en furent les promoteurs et qui continuent de l’être. C’est là le cœur, avec l’effondrement de l’URSS et les choix européens, des difficultés de la gauche et de la social-démocratie dans toute l’Europe.

-Or, si Nicolas Sarkozy est élu en mai 2007 à la plus grande satisfaction des milieux d’affaires financiers, les Etats Unis d’Amérique dans un réflexe de survie politique élisent Barak Obama. Un homme résolument neuf. Dans une situation intérieure et extérieure très difficile, il réussit à faire passer sa réforme du système de santé et donne l’impression de vouloir changer de ton vis-à-vis de l’Etat d’Israël. L’évolution de la situation au Proche-Orient est directement liée aux intérêts vitaux des Etats Unis d’Amérique. Les dernières déclarations du général Petreus devant la commission de la défense du Sénat des Etats Unis d’Amérique sont très claires sur le sujet. Dans le même temps il veut s’affirmer vis-à-vis de la Chine qui ne peut pour le moment se passer de la puissance américaine. La Chine qui a bien compris à l’occasion de cette crise, qu’elle doit trouver et organiser son développement, d’abord de façon endogène en mettant sur pied un système de sécurité sociale (dans lequel elle injecte dans un premier temps 95 milliards de dollars), ainsi qu’en s’appuyant sur son propre marché intérieur. Etats Unis d’Amérique-Chine, Dollar-Yuan : voilà les acteurs de la scène et du jeu mondial des années à venir. Le meilleur comme le pire peut en sortir.

Je pense donc raisonnablement que la dynamique politique et historique est en profonde évolution et que nous changeons de paradigme idéologique. Un seul exemple pour illustrer mon propos : 1976, attribution du Prix Nobel d’économie à Milton Friedman, en 2008 ce même Prix Nobel revient à Paul Krugman.

VI) Les défis sont immenses.

Nous sentons tous avec angoisse et parfois même avec un sentiment d’humiliation et de colère, l’abaissement du pays. L’abaissement du débat politique. L’abaissement de l’esprit public, du civisme, du sens de l’intérêt général, de l’amour de la Patrie.

Si la France reste attractive (elle continue d’attirer les capitaux étrangers), son économie est très intégrée avec ses principaux voisins européens (en particulier l’Allemagne), le mal semble plus profond et d’une autre nature.

La France et le peuple français sont confrontés à une difficulté majeure : leur raison d’être. Construction politique particulière faite de brassages permanents de peuples, de langues, de cultures différents. Le peuple français dans ce qu’il est devenu est en quelque sorte un « miracle ou un accident de l’histoire ». Il est une pure création intellectuelle et politique et ne doit son existence qu’à la farouche volonté, tant de quelques rois que d’historiens ou philosophes et surtout de lui même. Certes cela ne s’est pas fait en un jour. Il a fallu faire face aux convoitises féodales  et étrangères, déjouer dans les guerres étrangères, les rivalités internes qui attisent de terribles guerres civiles, apprivoiser les « grands », subordonner l’église, affirmer le temporel sur le spirituel. De Philippe Auguste à la fin des Guerres de Religion : un gigantesque combat qui nous amène aux portes de la fin de l’Ancien Régime. Le peuple français ne peut donc pas être le produit d’une communauté de sang, ou de "souche". Il ne peut exister qu’à la condition de subordonner à sa volonté de vivre ensemble, l’ensemble des forces qui certes font partie de son histoire, mais ne sont pas la condition suffisante de son existence. C’est ce que la Révolution française dans son génie a synthétisé dans son cri et son appel « Vive la Nation ».

La gauche peut revenir au pouvoir à condition qu’elle sache s’adresser à la France et au peuple français. A condition qu’une perspective claire soit tracée. En particulier sur les questions économiques et sociales, mais aussi institutionnelles.

Salaires, retraites, santé, éducation, sécurité, fonctionnement des institutions européennes, de l'euro…Voilà les grands défis auxquels il faut répondre. Voilà les questions quise  posent à l'issue de ces élections régionales et les perspectives dans lesquelles nous devons placer l’action collective de la gauche française en direction de 2012 mais pour aller bien au delà...


Claude NICOLET
Premier secrétaire du MRC Nord
Secrétaire national du MRC