Claude NICOLET

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JPCIntervention de Jean-Pierre Chevènement au Sénat lors du débat relatif à la coordination des politiques économiques au sein de l'Union européenne, jeudi 17 février 2011.

Dans un rapport commun de MM. Collin et Bourdin sur la coordination des politiques économiques en Europe publié en 2007-2008, l’accent était mis sur les graves risques de déséquilibres qu’entrainait la différenciation des régimes de croissance économique au sein de la zone euro, notamment entre la France et l’Allemagne, s’agissant de la consommation des ménages. Ce rapport sonnait justement l’alarme : deux ans après, la crise de l’euro sanctionnait le creusement des divergences de politique économique au sein de la zone euro.  

MM. Collin et Bourdin préconisaient de remédier à ces divergences par une correction du partage de la valeur ajoutée en faveur des salaires, grands perdants de l’évolution enregistrée de 1975 à 2006 : 12,1 points de PIB au moins ! 
En prend-on le chemin aujourd’hui ? C’est l’inverse que, sous prétexte de remédier à la crise de l’euro, Mme Merkel et M. Sarkozy, nous proposent. L’orientation qui se dégage à l’approche du sommet de la zone euro, le 11 mars prochain, suivi d’un sommet à 27, à la fin du mois, consiste à assortir la pérennisation du mécanisme de stabilisation financière de l’euro d’un « pacte de compétitivité », élaboré par le gouvernement de Mme Merkel, enrôlant à sa suite M. Sarkozy et le gouvernement français pour imposer aux autres gouvernements européens une politique profondément réactionnaire et d’ailleurs à terme vouée à l’échec.

1. Au lieu de promouvoir une initiative de croissance à l’échelle européenne qui desserrerait le carcan pesant sur les pays déficitaires, à travers une politique coordonnée de relance salariale, particulièrement en Allemagne, où la déflation salariale impulsée depuis 2000 a exercé un effet déséquilibrant sur le commerce extérieur de tous les pays de la zone euro, à l’exception des Pays-Bas, le « pacte de compétitivité » en préparation vise à casser l’indexation des salaires sur les prix. L’objectif est clairement de modifier le partage entre les profits et les salaires, encore une fois au détriment de ces derniers. Même MM Junker et Leterme, les Premiers ministres luxembourgeois et belge, qui ne sont pas des gauchistes, s’élèvent contre cette prétention ! 

2. Le dit « pacte de compétitivité » prévoit d’inscrire dans les Constitutions l’interdiction de tout déficit budgétaire : Keynes peut se retourner dans sa tombe ! C’est le triomphe du néolibéralisme inspiré de Milton Friedman et de Hayek, trois ans après l’éclatement en 2008 de la grande crise du capitalisme financier, comme si cette crise était définitivement derrière nous ! A-t-on jamais vu pareille tentative de retour en arrière ? 
En vue de restaurer un capitalisme du XIXe siècle, Mme Merkel veut imposer une nouvelle « Sainte Alliance », à laquelle M. Sarkozy n’ose pas dire non. 


Croyez-vous qu’il y aura une majorité des 3/5 du congrès de Versailles pour approuver une telle régression ? J’ai entendu la protestation de M Benoit Hamon, porte parole du PS. J’aurais préféré entendre celle des candidats potentiels du Parti socialiste à l’élection présidentielle. Car, comme pour le traité de Lisbonne, c’est le Parti socialiste qui détient la clé ! 

3. La règlementation de l’euro, imposée en son temps, au sein du groupe Delors par le Président de la Buba, Karl Otto Pöhl et approuvée par le Conseil européen de Madrid, en juin 1989, était déjà plus que critiquable : c’est ainsi que la Banque Centrale Européenne indépendante se voit interdire par le texte du traité de Maastricht de racheter des titres d’Etat sur les marchés dits secondaires. 
Elle a été amenée à contourner cette règle absurde en 2010 pour venir en aide à la marge, il est vrai, à la Grèce, à l’Irlande et au Portugal. 
Mais ce que Mme Merkel et M. Sarkozy nous proposent aujourd’hui n’est pas du tout d’élargir cette possibilité par une réforme des statuts de la BCE. Non ? Ils nous proposent que le futur fonds de stabilisation alimenté par les Etats c'est-à-dire au premier chef par l’Allemagne et la France puisse par exemple racheter de la dette grecque ou prêter à la Grèce de quoi racheter sa dette. 
De toute évidence il s’agit de préparer la restructuration de la dette grecque au lieu d’agir en amont sur la croissance et sur la politique de la BCE. J’aimerais être sûr qu’il ne s’agit pas d’un premier pas pour exclure de la zone euro les pays les plus fragiles. 

4. Le pacte de compétitivité prévoit par ailleurs un mécanisme automatique de relèvement de l’âge de la retraite fondé sur la démographie, comme si le problème essentiel n’était pas le rétrécissement de la base productive européenne (en France la part de l’industrie est passée de 30% à 13% de la valeur ajoutée de 1982 à 2010) et la diminution du nombre de cotisants (-600 000 en 2008-2009) 
Cette prétendue « politique de compétitivité » n’a aucune chance de fonctionner : voulez vous aligner le modèle européen sur le modèle chinois ? Vous n’y parviendrez jamais, car la pression d’une immense armée de réserve industrielle permettra à la Chine de maintenir ses bas salaires pendant trente ans au moins. Cette course à la compétitivité avec les pays à très bas salaires est perdue d’avance. 

Ou alors voulez-vous transposer le modèle allemand au reste de l’Europe ? Cela n’a pas davantage de sens : l’Allemagne est un pays industriel à forte intensité technologique, ce qui n’est pas le cas de la plupart des autres pays européens. Elle exporte la moitié de sa production. Comme la Chine ! 60% de ses excédents commerciaux se réalisent sur la zone euro.

Si tous les autres pays de la zone suivaient son exemple ce serait le naufrage collectif assuré et d’abord pour l’Allemagne ! Si tous les pays de la zone euro voulaient, par une politique de rigueur, augmenter leur compétitivité pour gagner des parts de marché à l’exportation sur les autres, ce serait la récession générale et le naufrage collectif assuré ! 
La politique inspirée par le gouvernement Merkel et relayée par la Banque Centrale et par la Commission européennes, toutes deux prisonnières des dogmes libéraux qui ont présidé à leur fondation nous conduit droit dans le mur ! 

Comme dans le conte de Grimm, où on voit le joueur de flute entraîner vers le précipice d’abord les rats puis les enfants de la bonne ville de Hameln, de même on a l’impression qu’aucun gouvernement européen ne se sent de taille à contredire l’orthodoxie professée par le gouvernement allemand appuyé sur la Commission et sur la Banque Centrale européenne. Ce serait pourtant le rôle de la France. 

Le mystère de cet égarement collectif se cache dans la méthode de préparation du prochain sommet.
Le Conseil européen a pris le pas sur la Commission. C’est une bonne chose et c’était inévitable : 27 personnes ne peuvent pas définir l’intérêt général européen, c’était l’erreur de « la méthode Monnet ». 

Mais dans les faits c’est le couple franco-allemand qui prend le relais. Il est vrai que l’Allemagne et la France sont les principaux bailleurs de fonds. Le « Président stable » du conseil européen, M Van Rompuy, en paraît quelque peu marri. Il est réduit à jouer les utilités. Pourquoi ? Parce qu’en fait, il se passe de drôles de choses à l’intérieur du couple franco-allemand : Mme Merkel veut imposer une rigueur à l’allemande aux autres pays de la zone euro. C’est l’Allemagne qui tient le tiroir caisse. Or qui paye commande ! 

L’Allemagne tient bon, non sans quelques bonnes raisons, sur le principe de responsabilité. Si elle doit prendre en compte le principe de solidarité (évoqué par l’article 122 du TUE), c’est à reculons : elle entend se servir du FMI pour imposer à travers la troïka FMI-Commission-BCE une rigueur budgétaire sans faille allant jusqu’au blocage ou à la diminution du traitement des fonctionnaires, au recul de l’âge de la retraite, à des coupes sombres dans les dépenses publiques, à la création de nouveaux impôts, à des programmes drastiques de privatisation comme on le voit en Grèce.

 Le gouvernement de Mme Merkel tient -en cas de manquement- pour des sanctions automatiques. Il entend également faire peser sur les créanciers privés, c'est-à-dire les banques, le poids d’éventuelles restructurations de dettes. L’effet est de les rendre inévitables. 

Le gouvernement de Mme Merkel a fait accepter à M. Sarkozy le principe d’un « pacte de compétitivité » sur le contenu duquel il semble que la partie française manifeste en catimini quelques réticences. La vérité est que M. Sarkozy se fait instrumenter par Mme Merkel

Le gouvernement français se sent obligé de taire ses réticences Euro oblige puisque M. Sarkozy a déclaré que « l’euro, c’est l’Europe ! » Eh bien non ! l’Europe, ce n’est pas l’euro à n’importe quelle condition ! 

Il est temps que le gouvernement français cesse de s’inscrire dans la logique du pacte de compétitivité à l’allemande et fasse prévaloir, de concert avec les autres gouvernements européens, de nouvelles règles du jeu.