Quel bulletin les électeurs glisseront-ils dans l'urne dimanche ? Malgré le désintérêt et la lassitude de bon nombre de Français pour la campagne, l'enjeu est de taille. Claude Nicolet – qui apporte son soutien à François Hollande – explique pourquoi le résultat d'un scrutin a rarement été aussi décisif pour l'avenir du pays.
Dans quelques jours, le premier tour de l'élection présidentielle sera derrière nous. Moment paradoxal de la vie politique française où le choix se conjugue à l'élimination. Moment de cristallisation des réflexes politiques et de la nécessaire mise en perspective pour l'avenir du pays.
Moment particulier dans une période elle-même décisive. Jamais depuis aussi longtemps le pays n'a été confronté à un choix d'une telle importance. Alors que la campagne s'enfonce dans l'invective et l'insulte, alors que la droite française aux abois, en particulier l'UMP, affiche sans même plus s'en rendre compte son mépris pour l'intelligence du peuple français, les votes que nous ferons les 22 avril et 6 mai prochains nous engagent comme cela n'a pas été le cas depuis longtemps. Trois raisons essentielles à cela.
RECOMPOSITION DE L'ÉCHIQUIER POLITIQUE
Tout d'abord le futur président de la République devra faire face à une situation de recomposition politique interne à la France de grande ampleur. Ni la droite ni la gauche ne seront les mêmes au lendemain de la présidentielle. Parce que le « système turbule », comme disait Jean-Pierre Chevènement il y a dix ans déjà, preuve une fois de plus de sa clairvoyance. La droite ne pourra faire l'impasse de son alliance politique et stratégique avec un Front national « relooké ». Plus l'ampleur de la victoire souhaitable de François Hollande sera grande, plus le choc sera rude. Les positionnements de Claude Guéant et de la Droite populaire n'y feront rien pour tenter de s'affranchir de cette perspective. La question de la refondation des droites est en réalité déjà posée, y compris avec la fin probable de l'UMP dans sa forme actuelle.
Un echec de Nicolas Sarkozy ne peut qu'entraîner la fin d'un appareil crée par lui et pour lui, avec comme seule perspective la conquête du pouvoir, sa préservation et la domination idéologique d'un « néo-conservatisme européo-transatlantique ». Une politique de classes clairement assumée, violente, brutale et grossière. Mais le président-candidat a profondément choqué les Français. Dans son comportement, son projet, son exercice du pouvoir, sa façon d'être. Le bilan de la révolution sarkozienne et de son impact sur la société française sera un énorme chantier politique en ruine. On pourrait se dire « c'est le problème de la droite » ! Mais se sera aussi le problème de la France, dont seul l'intérêt doit nous guider.
La gauche également ne sera plus la même. En premier lieu parce qu'un nouvel espace politique s'ouvre pour elle. Nous sommes d'ores et déjà entrés dans une nouvelle période historique. La crise d'août 2007 en a été le révélateur puissant. Mais un certain nombre de conditions étaient déjà réunies. Effondrement du mur de Berlin, traité de Maastricht, élection présidentielle de 2002, rejet du traité constitutionnel européen du 29 mai 2005... Pour ne citer que quelques évènements.
Les choses se cristallisent. Il faut du temps pour cela mais aussi que les situations historiques le permettent. C'est le cas aujourd'hui. Un premier constat qui s'impose, c'est pour le moins « la prise de distance » par toute la gauche française avec la construction européenne. Prise de distance plus ou moins nette, plus ou moins franche, avec toutes les nuances possibles certes, mais la réalité est là, incontournable, le dogme européen vacille. De l'extrême gauche au Parti socialiste, de ceux qui veulent sortir de l'euro jusqu'au plus modéré, la force des évènements et le combat de celles et ceux (dont nous sommes au MRC) qui ont toujours mis en garde.
Ensuite le paysage politique s'éclaircit. L'extême gauche est marginalisée, mais autre fait marquant c'est la situation d'Europe Ecologie-les Verts. Il convient toujours de dire que l'élection présidentielle n'est pas facile pour les écologistes. C'est vrai pour des raisons qui tiennent à la nature de cette élection. Il est difficile pour eux d'entrer dans la logique de la rencontre d'un homme ou d'une femme avec la Nation quand, par ailleurs, les écologistes issus de la tradition libérale-libertaire de mai (qu'on ne peut résumer à cela) s'opposent à ces notions au nom des régionalismes d'une part et de l'Europe d'autre part. Mais surtout Jean-Luc Mélenchon réalise une synthèse entre la tradition du socialisme démocratique et les préoccupations écologistes. Leur articulation crée une perspective politique que les Verts étaient incapables de réaliser et la déclaration d'amour républicaine d'Eva Joly, lors de son meeting de Grenoble, n'y changera rien. Il est trop tard. Les vrais perdants de la poussée de Mélenchon se sont les Verts et pas François Hollande qui reste très élevé dans intentions de votes du premier tour.
FONCTION PRÉSIDENTIELLE DÉGRADÉE
Parce que la France a été bousculée, brinquebalée, chahutée pendant cinq ans. La stratégie de la tension, les oppositions entre « communautés », entre « catégories », ont fait du mal et laissent des traces. Rien n'a pu faire oublier les premiers instants du Fouquet's, les vacances sur le yatch de Bolloré, les insultes du salon de l'agriculture, ou les mises en scène amoureuses « Carla et moi c'est du sérieux ». La stupéfaction passée, l'indignation n'a cessé de monter. La fonction présidentielle à laquelle les Français sont attachés a été profondément dégradée ainsi que le fonctionnement des institutions. Le Premier ministre considéré comme un « collaborateur », le Parlement aux ordres devant fonctionner quasi-systématiquement en procédure d'urgence et faisant des lois en fonction de l'actualité et des faits divers. Alors que la question sociale se fait chaque jour plus pressante et nécessite sang froid, vision, mise en perspective pour le long terme. Les fondamentaux qui structurent l'identité politique française ont été attaqués de front. Le premier d'entre-eux, l'égalité, a subi d'incessantes attaques. Il ne faut pas avoir peur de le dire, le 6 mai c'est aussi une certaine idée de la France et de la République qu'il faudra remettre à l'Elysée et seul François Hollande, aujourd'hui est en capacité de le faire.
RENÉGOCIATION DU TRAITÉ MERKOZY
Parce que l'Europe est à refaire et que la crise de l'euro vient de se réinviter dans la campagne présidentielle. Les dettes publiques une fois de plus ne sont que le résultats de politiques anciennes et en particulier du décrochage des politiques budgétaires et monétaires de la souveraineté politique. François Hollande a donc entièrement raison d'exiger la renégociation du traité Merkel-Sarkozy du 2 mars, qui est une folie financière et démocratique. Là encore, il faut être clair : il ne veut pas le « compléter » mais le « renégocier », je renvoie à son interview du 13 avril dans les Echos. Il sait que rien ne pourra se faire sans la France, que son poids et son influence sont déterminants. Face à cette situation exceptionnelle, il convient de placer l'intérêt du pays au premier rang. La question européenne est en réalité centrale. Elle surdétermine tout. L'enjeu de cette négociation déterminera en grande partie notre avenir. Pour cela il faut que François Hollande puisse s'adresser à l'Allemagne dans les meilleures conditions. Pour ce faire le résultat de son élections sera essentiel. Plus son score sera élevé, plus sa légitimité sera grande et sa parole forte. Plus le peuple français sera rassemblé, plus les marges de manoeuvres seront disponibles dans le rapport de forces qui ne manquera pas de s'installer en Europe. Comme la écrit Jean-Pierre Chevènement en 1996 déjà : « France-Allemagne, parlons franc. » Voilà la vraie bataille qui est devant nous. C'est avec François Hollande qu'il faudra la livrer.
Claude Nicolet est premier secrétaire du MRC Nord, secrétaire national et conseiller régional Nord-Pas-de-Calais.