Je vous recommande la lecture de ce long entretien que Daniel Percheron, Sénateur (PS) du Pas de Calais et Président du Conseil régional Nord Pas de Calais à donné à La Voix du Nord de ce 24 octobre 2012. Des prises de positions courageuses et notamment une analyse d'une grande lucidité sur la construction européenne et sur l'avenir de l'euro. Une vraie vision également sur l'avenir de la région Nord Pas de Calais et sur l'évolution des institutions. Des arguments sur ces grands dossiers et ces questions essentielles que le MRC pourrait faire siennes.
Il justifie, arguments à l'appui, le cumul des mandats. Il vient de voter, avec deux autres sénateurs socialistes, contre le Traité budgétaire européen et s'en explique. Il défend son « camarade » Jean-Pierre Kucheida avec fougue. Il ne croit pas une seule seconde à la remise en cause du projet de canal Seine-Nord. Il ne comprend pas ceux qui s'étonnent des sommes investies dans la rénovation du stade Bollaert. Il ne fait plus mystère de ses relations difficiles avec Martine Aubry. Il apprécie François Hollande mais conteste le bien-fondé des «primaires » pour désigner le candidat socialiste... Sur nombre de questions nationales, dans l'entretien qu'il nous a accordé, Daniel Percheron fait entendre ses différences à l'égard de la ligne « majoritaire » au PS. Sur les grands dossiers régionaux, de Seine-Nord au Louvre-Lens, il dit sa foi en l'avenir. Au passage, il laisse entendre qu'il restera à la barre du conseil régional jusqu'au terme d'un mandat prolongé jusqu'en 2015. Quitte à partir du Sénat si la loi l'y oblige. Propos reccueillis par Dominique Serra.
Seine-Nord : confiance
« Le projet de canal Seine-Nord est financé. Le coût du creusement est passé en trois ans de 4,3 à 4,6 milliards. Il n'y a pas de dérapage. Le seul problème, c'est le financement à travers un partenariat public-privé en période de ralentissement économique. Le montage global est moins évident qu'il y a deux ou trois ans. L'Europe n'a pas beaucoup versé au projet initial (400 millions), par rapport à une Région comme le Nord- Pas-de-Calais (220 millions) mais l'Europe prévoit de consacrer 32 milliards entre 2014 et 2020 aux grands projets de connexion européens. Seine-Nord fait partie des cinq projets prioritaires. Il n'y aura pas de problème financier pour faire Seine-Nord. L'Europe a fait savoir qu'il y a accord pour conforter et financer le canal. Certains s'inquiètent parce que le gouvernement a mis involontairement Seine-Nord dans un grand "paquet" d'infrastructures en banalisant le projet. Seine-Nord est vital pour le Nord - Pas-de-Calais, pour l'Europe rhénane. C'est un projet finalisé à 90 %. »
Louvre-Lens : l'effet Bilbao
« Le Louvre-Lens sera le contraire du Louvre de la Joconde, du Louvre où l'on va d'abord vers un tableau mythique et où l'on risque, en allant vers ce tableau, de passer à côté de l'ampleur du musée. Le Louvre-Lens c'est la galerie du temps, 209 oeuvres présentées de manière chronologique. Le bâtiment a été difficile à construire et finalement nous le construisons dans des coûts et des délais maîtrisés. Le bâtiment va coûter 150 millions d'euros et la totalité de l'opération 200 millions. Je suis allé chercher plus de 10 millions de mécénat, l'Europe a rajouté 10 millions. »
« Faire évoluer le territoire »
« Autre aspect : comme à Bilbao avec le musée Guggenheim, le Louvre-Lens est un musée qui fait qu'on refait la ville, qu'on imagine une nouvelle économie, qu'on s'ouvre sur le monde. Nous sommes dans l'arrondissement de France qui produit, en économie de marché, la plus faible quantité de richesse par habitant : 1 000 euros par an, Toulouse c'est 3 500. La force du Louvre pourrait faire évoluer le territoire. L'arrivée du musée, le classement du bassin minier à l'UNESCO bouleversent le paysage. Nous allons non pas vers la fin des corons mais vers l'archipel vert imaginé par l'architecte Michel Desvigne. Dans le même secteur on aura à la fois la mondialisation de l'art avec le Louvre-Lens, la mondialisation de la mémoire avec Notre-Dame de Lorette, ce mémorial unique au monde sur lequel 600 000 soldats, toutes nationalités confondues, auront leur nom inscrit, dans une fraternité post-mortem. Nous aurons aussi la mondialisation avec "mineurs du monde", un projet pour qu'au 11/19 de Loos-en-Gohelle, il y ait la mémoire et les archives de ce que l'on appelle la conscience minière. Il s'agit deconvertir, de dominer la violence faite aux paysages et aux hommes par la mine. »
Stade Bollaert : loin du foot business
« Les gens qui ne comprennent pas les raisons et le coût de la rénovation du stade Bollaert se trompent.
Lorsque les Houillères sont parties en 1970, si nous avions accepté que ce stade serve d'écrin pour un lotissement pour cadres comme le proposait le patron des Houillères, le football aurait disparu et Lens, comme ville de dimension nationale, aurait probablement disparu. Lens, avec le meilleur public de France, aincarné l'espoir et la vitalité du bassin minier. Lens est la plus petite ville ayant accueilli une Coupe du monde. Bollaert appartient au patrimoine. Il a été le stade de l'intégration. Lorsqu' à la mi-temps, les supporteurs chantent la ritournelle des Corons, il n'y a pas un spectateur qui ne se sent pas comptable de l'histoire du stade et de la grandeur de l'épopée minière. »
« Un vrai projet sportif »
« Il faut qu' à ce respect de la population corresponde un vrai projet sportif. Mais sans le stade, nous n'aurons pas ce projet sportif. Il y a aussi la dimension d'attractivité du territoire. Nous allons peut-être avoir un nouveau modèle de football en France. Je souhaite qu' à partir du stade Bollaert, les collectivités territoriales, les milieux économiques se mettent d'accord pour porter un club qui n'appartiendra pas au foot business mais à un développement raisonnable, modeste et chaleureux. Le Crédit agricole a montré la voie. Il a sauvé le club. Aujour-d'hui, il nous permet de sauver le stade en nous faisant des conditions de prêt remarquables. »
Un point de TVA pour la décentralisation ?
« À propos du troisième acte de la décentralisation, tout le monde est d'accord sur un point : la Région est un niveau pertinent et cohérent d'animation du territoire, de développement économique. C'est cet échelon que l'on doit développer. Le président de la République nous a dit : " Je veillerai à ce que vous ayez les ressources qui correspondent." C'est là que le problème est probablement le plus délicat. Je suis pour que la Région bénéficie d'une ressource dynamique et nationale. Par exemple un point de TVA, ce qui correspond pour le Nord - Pas-de-Calais à un peu plus de 400 millions d'euros. Mais je suis très minoritaire sur ce plan au sein de l'Association des Régions de France, comme au sein de la pensée unique nationale. Il y a des présidents de Région qui ne font pas le même métier que nous. Dans le Nord - Pas-de-Calais, nous remplaçons l'État. Nous avons investi 615 millions d'euros l'an dernier et le seul impôt qui "prend acte" de nos faiblesses, c'est la TVA. Ce point de TVA, nous pourrions l'affecter aux nouvelles énergies, aux infrastructures durables, à la recherche. »
Son « non » au Traité européen
« Avec deux autres sénateurs socialistes j'ai voté contre le Trait budgétaire européen sans aucune hésitation. J'avais voté "oui" à Maastricht parce que c'était l'Europe de François Mitterrand et de Jacques Delors. Après la chute du Mur, François Mitterrand a échangé la réunification pacifique de l'Allemagne contre la monnaie unique. On garantissait la stabilité de l'Europe par l'intégration à travers l'euro. On s'est mis à l'abri avec cette monnaie unique jusqu'en 2002. Elle a permis de maintenir le modèle social français à crédit. Nous nous sommes endettés. Nous avons baissé les impôts de 90 milliards d'euros entre 2002 et 2012... jusqu'au jour où ceux qui vivent de la dette ont dit : "Assez, on ne vous prête que si vous êtes raisonnables." »
Cette monnaie n'a aucun socle
« Donc l'euro n'est pas viable. Cette monnaie n'a aucun socle. Tous les inconvénients demeurent et peuvent à tout moment déclencher une crise mortelle pour l'économie mondiale. C'est pourquoi j'ai considéré qu'il fallait faire la pause comme aurait dit Jacques Delors. Le monde bascule à une vitesse exceptionnelle et dans ce basculement, l'Europe menace de se disloquer. Elle doit se protéger et envisager des scenarii sérieux de sortie de l'euro pour les pays qui ne peuvent pas tenir. On se pose la question de savoir s'il faut, comme Angela Merkel le fait, pousser les Grecs, les Espagnols, demain les Français et les Italiens, aux dernières extrémités de l'austérité. C'est une véritable question. Je suis sur ce point très inquiet. Il y a une question qui devrait interpeller le Parti socialiste : lorsque la classe ouvrière dans la région, s'il y avait un référendum, vote contre à 90 %, la question est de savoir si elle se trompe, si nous la conduisons dans une impasse... ou si quelque part elle a raison. »
Relations compliquées avec Martine Aubry
« Comment qualifier mes relations avec Martine Aubry ? Ce sont des relations d'alpiniste. J'ai un piolet, pas toujours des chaussures à crampons. Madame Aubry règne à des altitudes auxquelles je n'ai jamais envisagé de me hisser. Les idées n'y sont pas non plus très nombreuses. Je reste dans la vallée tout simplement. Cela ne veut pas dire que je ne suis pas sensible à la beauté des cimes. Tout le monde ne peut pas être guide de haute montagne ! »
Le cumul... jusqu' à la loi
« J'ai toujours été favorable au cumul des mandats. Martine Aubry a proposé un changement de nature du Parti socialiste que je désapprouve. Je suis peut-être victime de ma génération, de mon âge, d'une certaine routine mais je reste convaincu que je détiens 80 % de la vérité. Nous venons de franchir toutes les étapes qui déstabilisent la Ve République : avec le quinquennat, nous avons accéléré le rythme, avec l'inversion du calendrier, nous avons transformé les législatives en troisième tour de présidentielle et nous avons fait des députés de simples missi dominici du président.
Nous avons mis en place la primaire qui institutionnalise le passage de la démocratie militante à la démocratie d'opinion. La direction du PS porte atteinte à la nature du parti créé autour de François Mitterrand à Épinay en 1971. Sous François Mitterrand, nous sommes devenus une formidable social-démocratie des territoires. Tout a été conquis. Tous les élus du parti d'Épinay, dans l'opposition comme au pouvoir, ontconjugué leur rôle de parlementaire avec un ancrage local réel. La Ve République va devenir un régime où le président est élu après une primaire, où les parlementaires ne sont que ses ombres et où aucun contre-pouvoir ne se met en place. Cette évolution constitutionnelle me semble très préoccupante. C'est pourquoi je souhaite que les parlementaires gardent un mandat électif, notamment le mandat de maire. »
« Forcing excessif »
« J'obéirai à la loi limitant le cumul mais le forcing du PS me semble excessif, inopportun et sur le fond très discutable. Mon choix n'est pas vraiment fait mais il me semble que je suis plus président de Région que sénateur. Si on me supplie de laisser la place à un autre président de Région, j'écouterai avec bienveillance les arguments. On ne me supplie pas ! Du côté du PS, ceux qui vont aller à l'assaut ne doivent pas considérer que l'on peut diriger une Région par procuration... »
L'ardent défenseur de Jean-Pierre Kucheida, « frère de combat »
« La défaite de Jean-Pierre Kucheida illustre le fait que Me Badinter n'a pas gagné sur toute la ligne. La peine de mort politique n'est pas abolie en France. Arnaud Montebourg, la direction du parti, François Lamy ont pu instruire un procès en sorcellerie. Jean-Pierre Kucheida en a payé le prix. Je ne me permettrai pas de le juger. Je le considère comme un camarade de toujours, un frère de combat. Nous étions ensemble au congrès d'Épinay et je suis liévinois politiquement. Il a été le dernier grand député de la mine. Il a mené le combat du patrimoine face aux monstres froids des Houillères et de l'État. Il a contribué, avec nous, à sauver le patrimoine, il l'a géré. Ce patrimoine est passé de 500 millions à 3 milliards d'euros. Il a apporté trois milliards d'euros de valeur au bassin minier. Il a mené le combat du code minier. Il a combattu pour le maintien de la Sécurité sociale minière.
Ses combats ont été essentiels. Avec son dynamisme, il est possible que Jean-Pierre Kucheida passe pour un rouleau compresseur. Sur la SOGINORPA, je pense que cette société a eu tort de céder aux produits toxiques mais le bilan est positif. Le comportement a été corrigé à temps. La SOGINORPA va devenir la plus belle entreprise de logements sociaux de France. »
« Je pense que la bonne foi est totale"
«L'affaire dite de la SOGINORPA sera réduite. Ça n'a rien à voir avec les problèmes parfois soulevés par le financement des partis politiques. Sur les conseils de ses avocats, Jean-Pierre Kucheida a remboursé la totalité des huit années des dépenses de représentation, à hauteur de 300 ou 400 euros par mois. Aujourd'hui, je pense que la discussion tourne autour de cinquante ou cent euros par mois. Le fait qu'il n'y ait pas d'instruction plaide plutôt pour un dossier léger. Je pense que la bonne foi est totale. Un président est bénévole. Il me disait qu'il allait au restaurant une fois tous les vingt jours en moyenne. Il considère qu'il était pratiquement chaque fois en travail, en représentation, en discussion professionnelle, je ne pense pas qu'il y ait dérive. Il peut y avoir imprudence, incompréhension.»