Claude NICOLET

Le site de

IndustrieAujourd'hui, les salariés de Spie et Cegelec ont légitimement manifesté contre ce qu'ils appellent à juste titre une concurrence déloyale organisée au sein même de l'Union européenne. L'objet de leur colère: que leurs entreprises n'aient pas été retenues pour le marché de l'électricité du chantier du terminal méthanier. Pourtant ils se sont investits à fond pour répondre à l'appel d'offre, mais la concurrence italienne a annoncé 30% moins cher. Par quel miracle? Le coût de la main d'oeuvre? Une meilleure productivité? La réalité c'est que l'Italie a conservé une base productive et industrielle, en particulier ses PME-PMI bien plus performante qu'en France. En rajoutant à cela les facilité de "dumping social" que permet le travail détaché, nous avons l'ensemble des ingrédients d'un coktail qui peut devenir politiquement explosif!

Et cela n'a rien à voir avec la qualité de la main d'oeuvre française, mais tout à voir avec le dogme de la "concurrence libre et non faussée" et avec les règles de fonctionnement de la monnaie unique qui juxtapose des économies qui sont très hétérogènes et se livrent une concurrence acharnée.

C'est le règne de la loi de la jungle et ça ne marche pas, et ça ne peut pas marcher, parce qu'on ne tient pas compte des réalités, des aspirations des peuples, de la démocratie, qui s'exprime dans le cadre national. Il faudra remplacer la monnaie unique par une monnaie commune, pour permettre des ajustements moins douloureux que ceux auxquels sont soumis les pays du sud mais pas uniquement, qui pour certains ont un chômage des jeunes qui dépasse la moitié de leur population.

Le reste n'est que de la pure démagogie. Mais cette situation pose des questions de fond sur notre situation économique et industrielle.

Mais faisons le avec un peu d'honnéteté. Tout d'abord à celles et ceux qui crient au scandale, je souhaite connaître les positions qui étaient les leurs en 1992 lorsqu'il a fallut se prononcer sur le traité de Maastricht qui a organisé la situation que nous connaissons aujourd'hui, en créant notamment la monnaie unique, l'euro aujourd'hui totalement surévalué qui est l'une des principales causes de nos difficultés industrielles. Nous avions mis en garde à l'époque. Nous avions raison!

Nous avons donc mille fois raison de maintenir coûte que coûte la vocation industrielle et portuaire de Dunkerque et nous voyons maintenant à quel point l'industrie est devenue une cause nationale. Pas de protection sociale sans une base productive puissante. La part de l’industrie (hors construction) dans la valeur ajoutée totale, en France, est passée de 18 %, en 2000, à un peu plus de 12,5 %, en 2011, nous situant désormais à la 15ème place parmi les 17 pays de la zone euro, bien loin de l’Italie (18,6 %), de la Suède (21,2 %) ou de l’Allemagne (26,2 %). L’emploi industriel (hors construction) s’est également continuellement dégradé : il est passé de plus de 26 % de l’emploi salarié total en 1980 (5,1 millions de salariés) à 12,6 %,en 2011 (3,1 millions de salariés), la France perdant ainsi plus de 2 millions d’emplois industriels en 30 ans.

L’accroissement de la concurrence étrangère, celle des pays européens comme celle de plus en plus présente des pays émergents, expliquerait entre un tiers et la moitié de ces destructions d’emplois sur la période récente (2000-2007). Imputer ces grandes données macro-économiques à une stratégie locale est d'une mauvaise foi assez rare ou d'une incompétence assez inquiétante. Et puis c'est faire injure à toutes nos entreprises qui sont à la pointe de la technologie, de l'innovation. C'est faire injure à leurs salariés qui se dépensent sans compter. Ils croient à leur outil de travail, ils ne veulent pas le voir disparaître! Ils veulent le voir se développer. Ne pas comprendre ça c'est ne rien comprendre.

Le littoral dunkerquois est donc ici directement sur la ligne de front de la guerre économique, c'est de ça dont il s'agit. Nous vivons une nouvelle bataille de Dunkerque, cette bataille est économique et sociale et nous faisons face. Le redressement industriel du pays ne se fera pas du jour au lendemain, il sous-entend des remises en cause profondes notamment au niveau de la construction européenne. Mais il est indispensable de livrer cette bataille et de la gagner. 

L'Allemagne ne se pose pas se genre de questions. C'est justement en s'appuyant sur un tissu industriel très organisé et puissant que se fonde sa domination en Europe et qu'elle accroît son influence sur la Mittel-Europa qui lui fournit de la main d'oeuvre bon marché. Alors que voulons-nous? Courber l'échine parce que les temps sont difficiles? Jamais! La vocation de la France n'est pas de se transformer en un immense parc d'attraction ou un site touristique.

Qu'il faille diversifier notre tissu économique est une évidence, c'est enfoncer une porte ouverte. La qualité du dialogue social et le soutien à nos entreprises, entrepreneurs, salariés et syndicats est absolument indispensable.

Mais qu'elle est la réalité? Brutale et cruelle. Elle est simple: celles et ceux qui dénoncent aujourd'hui une stratégie économique obsoléte, dépassée voire archaïque, ne comprennent en réalité rien à ce qui se passe ni le sens de la bataille gigantesque qui se livre actuellement. La réalité c'est qu'ils renoncent. Par facilité. Et pour tout dire par conservatisme et manque d'imagination. Ils ne font qu'accompagner ce qu'ils considèrent comme le déclin inéluctable de l'industrie française dans le cadre de la mondialisation. Comme il y a vingt ans certains patrons rêvaient "d'entreprises sans ouvriers". C'est un discours de renoncement. C'est un discours sans ambition et sans hauteur de vue.