Claude NICOLET

Le site de

Depuis un an, le littoral dunkerquois n'est plus tout à fait le même. A l'Est de la plage de Malo-les-Bains, à Leffrinckoucke, une structure étrange et lumineuse s'offre à nous, à notre regard, à notre curiosité, à nos questions.

Ano Nyme, artiste dunkerquois plein de talent, a réalisé une oeuvre que je considère comme profondément originale et d'une grande importance pour notre territoire en particulier. Il a eu l'idée de recouvrir de milliers d'éclats de miroir, l'intégralité d'un blockhaus datant de la Seconde guerre mondiale (1944), contruit par les forces d'occupation de l'Allemagne nazie, aujourd'hui échoué sur la plage.

L'importance, l'originalité de la démarche et de l'oeuvre m'ont immédiatement saisis. Les multiples possibilités de lecture me paraissent fascinantes et l'ensemble dégage une puissance créatrice et d'interrogation qui me passionne.

Ce bloc de béton, dédié à la guerre, objet de mort et de violence, se voit recouvert d'une mince pellicule de verre qui renvoie, fractionnée, brisée, notre propre image et en même temps la lumière, la douceur, la vie. Ce vestige, ce témoin tragique de la pire des folies, posséde aujourd'hui cette mince enveloppe qui en transforme la nature, comme la Terre cette fine et indispensable atmosphère qui permet à la vie de se développer.

Mais la masse du béton armé est toujours présente, visible par les interstices entre les éclats de miroir...menace toujours présente qui appelle à notre vigilance. Le pire est toujours à craindre et la couche civilisatrice, celle qui permet aux hommes de vivre entre-eux plus ou moins bien, est toujours fragile, toujours à entretenir. Sous la beauté, la lumière, la douceur et le génie de l'Homme; la force brute est là, comme inaltérable. Le contraste est saisissant entre la masse et la légereté, la lumière et l'obscurité à l'intérieur du bâtiment, la douceur de l'ensemble et ce pourquoi il a été fabriqué: détruire, repousser et donner la mort. Perpétuel déchirement, éternel combat.

Ce "recouvrement" fractionné et lumineux transforme véritablement le blockhaus. Il se fond dans le paysage en fonction de la lumière, des moments, de l'intensité du soleil et du bleu du ciel. Mais surtout, il fait de cet ouvrage militaire, à partir de son éclat, un nouveau point de repère sur différents plans. Repère maritime pour les marins qui croisent au large des côtes dunkerquoises, il nous permet également d'avoir un oeil neuf sur notre patrimoine militaire et notre histoire.

Le travail d'Ano Nyme permet en réalité un véritable "surgissement" de notre histoire dans notre réalité de chaque jour. Ce faisant il éclaire (dans tous les sens du terme) d'un jour nouveau ce qui nous a forgé au fil des décennies. Il nous permet de nous interroger sur ce qui a constitué notre identité et celle de notre territoire. C'est pour moi quelque chose de majeur et d'essentiel qui me persuade que dans le cas présent nous sommes face à un véritable artiste et à une véritable oeuvre d'art. 

Ano Nyme a réussit à cristaliser les angoisses et les interrogations de notre époque, leur donnant une forme ouvrant sur de nombreux questionnements et en renversant notre regard sur ce que nous sommes, sur les idées que nous pouvons nous faire de nous même, notre histoire et notre territoire. Ce faisant, il s'adresse à tous. Point géographique particulier, face à la mer , protectrice et hostile à la fois. Question de la frontière qui peut exclure mais dont la fonction inclusive est aussi une puissante réalité, dont l'existence nous tourmente particulièrement aujourd'hui.

Les innombrables reflets nous projettent vers l'avenir. Tout est ouvert, à nous de décider de notre futur, de ce que nous en ferons. En ce sens le triomphe de l'optimisme est affirmé, tout en étant adossé à cette menace permanente du blockhaus. Le pire est toujours sous-jacent et réclame une attention de chaque instant. Question qui se pose également aux individus et aux citoyens que nous sommes. Notre image est là, elle se refléte mais elle est brisée. Il n'y a jamais rien d'acquis, mais un combat permanent pour maintenir à distance ce qui peut advenir de pire. Incontestablement Ano Nyme renvoie à des questionnement de nature politique. En ce qui me concerne, j'ai toujours considéré que l'action politique devait se nourir d'un dialogue permanent avec l'histoire, j'y vois là une superbe illustration. Métaphore puissante de la dialectique à mettre à mettre en oeuvre pour penser notre époque.

Splendeur de la lumière et des ciels flamands inséparables de la peinture en particulier et de l'art en général. Masse sombre, sourde et inquiétante du béton armé dédiée à la mort et à la volonté de puissance. Eclat lumineux qui brille sur notre plage de sable fin sur laquelle la mer du Nord, tantôt calme, tantôt déchainée est à l'image des passions qui agitent les Hommes. Renversement du regard qui transforme un blockhaus, témoin pesant et embarrassant d'un passé qui pèse des tonnes, en rayon de lumière aérien qui éclaire l'avenir d'un jour nouveau. Dunkerque peut s'enorgueillir de posséder de tels artistes, aussi talentueux, aussi "brillants". Nous devons impérativement les soutenir.

 Ano Nyme, avec sa sensibilité à fleur de peau, sa délicatesse, son intelligence, sa vision du monde, son attachement au littoral dunkerquois, posséde selon moi de grandes qualités artistiques. Elles sont indispensables à la Cité. Le véritable artiste a toujours eu ce don mystérieux de mettre en formes les interrogations du moment et de nous aider à tenter de les comprendre afin d'y apporter des réponses. Il est incontestablement engagé dans une véritable démarche. Nulle doute qu'elle sera passionnante.

Claude NICOLET