Claude NICOLET

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Dunkerque.La presse s'en est largement fait l'écho. Le conseil municipal de Dunkerque a voté une délibération, le 25 septembre dernier, visant à créer un "comité d'éthique territorial."

-"Présidé par une personne désignée par le maire, le comité d'éthique sera composé des membres suivants:

-Des anciens élus ou anciens fonctionnaires reconnus pour leur expérience et leur intégrité.

-Un représentant d'association de lutte contre la corruption et pour la transparence publique.

-Au moins deux représentants des citoyens tirés au sort parmi une liste de volontaire."

Ces personnalités seront nommées pour trois ans et inamovibles sur cette période, afin de garantir leur indépendance. Le comité élaborera un rapport annuel, qui sera public et disponible sur internet.

Que dit également cette délibération? Qu'il faudra "veiller à la bonne application des règles fixées qui concerneront quatre domaines: le comportement des élus, qui devra être exemplaire; l'impartialité et la neutrlité de l'administration municipale, les principes moraux de fonctionnement du service public, la qualité de la relation aux citoyens."

Ensuite, dans le fonctionnement, quelques précisions sont apportées par la presse. Les "témoignages" des usagers pourront se faire, de façon anonyme (anonymat garanti) pour "inciter les Dunkerquois à ne rien laisser passer." "Ca peut se produire si un agent commet quelque chose qui n'est pas dans la déontologie." déclare le maire de Dunkerque, monsieur Patrice Vergriete. Ces déclarations pouvant se faire sur une boîte mail "extérieure à la mairie."

Si ce "comité d'éthique territorial", est en effet totalement dans "l'air du temps", il n'en pose pas moins des questions de fond. Elles ne sauraient être réglées par une simple délibération de conseil municipal et s'intitulant "faire de la politique autrement constitue un nouvel impératif."

On peut en effet partager le constat terrible de la déqualification de la parole politique et de l'action publique. C'est une incontestable réalité. Cependant il me semble important, sur un sujet aussi sensible de ne pas se précipiter et d'agir avec discernement.

Que les élus "montrent l'exemple" c'est du bon sens, je dirai même un devoir. Mais plus que tout ils sont les artisans au quotidien du pacte républicain et de sa promesse d'égalité. Si l'exemple que l'on donne peut avoir une force pédagogique, je n'en disconviens pas, ce que l'on demande aux élus c'est d'abord d'avoir des convictions, de se battre pour elles, de les faire vivre dans l'espace public. On leur demande surtout d'assumer leurs responsabilités politiques et le mandat que leur a confié le peuple.

Le grand désamour ne provient pas uniquement de la corruption ou des "affaires" qui gangrènent l'esprit public, mais surtout du sentiment que le bulletin de vote devient inutile, que les engagements de campagne sont oubliés une fois l'élection acquise. Parce que les Français souffrent d'un sentiment d'abandon lié à l'idée de délitement du pays et de son destin qu'ils n'ont plus entre leurs mains. Les effets de fragmentations et de ségrégations territoriales fonctionnent à fond sous l'impact de la mondialisation financière et des logiques de concurrence mises en oeuvre par l'Union Européenne. Celles-ci frappent les territoires et les salariés de plein fouet. Gaël Brustier a beaucoup écrit là-dessus.

Parce que ce sont les idées qui incarnent un projet politique et une perspective pour une société. Imaginer que "l'exemplarité" tienne lieu de ligne politique risque en fait, d'amener à la disparition "du"  politique et c'est là que réside le risque de voir "les extrêmes" prospérer.

A l'heure de la désindustrialisation massive, des difficultés d'Europipe, de SRD, du chômage, des difficultés à se loger, d'angoisse identitaire et culturelle, de crainte de l'avenir...voilà les facteurs qui font prospérer "les extrêmes." C'est ce qu'analyse un politologue comme Laurent Bouvet qui estime que le Front national a prospéré en raison de l’échec des politiques publiques menées ces trente dernières années, et du décalage entre le discours des politiques, le quotidien et les perceptions d’une partie de la population. L'angoisse du "déclassement", mis en lumière par le sociologue Camille Peugny identifie également les origines du "malaise" français.

Que l'éthique soit une conduite personnelle est une nécessité. Qu'elle fasse partie d'une "conduite citoyenne" bien sûr, mais pas uniquement dans la mesure ou la citoyenneté a déjà à voir avec l'action politique et avec la question de notre organisation sociale, politique et institutionnelle.

L'exemple donné par Monsieur Duquennoy, adjoint au maire chargé du personnel (le Phare dunkerquois du 08 octobre) me semble éclairant "Le cumul des mandats n'est pas interdit par la loi. On peut cumuler (...) Dans ce cas le droit ne suffit pas. La loi n'oblige pas un élu à démissionner. Il n'est pas condamné pénalement. Mais d'un point de vue éthique..."

Hormis le fait que la loi prévoit déjà des impossibilités de cumul (peut-être insuffisant), que le code électoral prévoit également toute une série d'incompatibilités professionnelles et électives, quelles relations peut-il bien y avoir entre un comportement qui serait éthique et un élu qui est en conformité avec la loi dont il est un représentant et qu'il est chargé d'appliquer et de faire appliquer.

La question du cumul des mandats n'est en rien une question éthique mais fondamentalement une question politique qui concerne le fonctionnement même de nos institutions de la Vème République et de la nature de la relation entre le pouvoir exécutif et législatif dans notre pays. Autrement dit sur ce point je crains le mélange des genres. Mélange des genres qui s'affiche dans la confusion entre éthique et laïcité. La laïcité est l'un des fondements de notre identité républicaine, elle est fondamentalement politique en ce sens qu'elle est l'un des piliers de notre organisation sociale. Elle ne peut être simplement un comportement individuel.

La laïcité est un combat qui aujourd'hui est plus que jamais nécessaire et qui ne peut s'affirmer qu'à partir d'une volonté inébranlable et des institutions solides. Nombreux sont ceux qui veulent en permanence "l'assouplir", la rendre "positive."Qui, dans le cas qui nous intéresse, déclarera ce qui est "éthique" ou pas? Qui en a la légitimité? Comment se gère un éventuel conflit entre éthique, légitimité et légalité? 

Autres questionnements: à quoi servent donc bien l'ensemble des dispositifs disciplinaires et réglementaires qui structurent la fonction publique territoriale? Le statut même de la fonction publique existe pour les fonctionnaires et les mettre à l'abri (tant que faire se peut) des pressions du monde extérieur afin que les fonctionnaires puissent exercer leurs missions dans l'intérêt général.

A quoi servent le dialogue social et les organisations syndicales? Certes, il est dit que le «comité d'éthique" n'est pas là pour sanctionner, mais le risque de l'affrontement symbolique est considérable, Il risque d'être sources de tensions, de méfiances et porte en lui l'affaiblissement du pouvoir municipal ce qui ne sera bon pour personne et surtout pas pour Dunkerque.

Comment comprendre la création d'une "boite mail extérieure à la mairie?" Qui sera le destinataire de ces courriels, qui en prendra connaissance, sur quelles bases sera t-il décidé de donner "une suite", que deviendront ces courriels qui seront autant "d'informations" sur les fonctionnaires voire sur les élus, comment seront établis les "dossiers" sur les uns et sur les autres? Ces "informations" seront-elles détruites? A partir de quand? Que pense la CNIL (Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés) de ce fonctionnement et de ces perspectives?

Le risque d'encourager la délation est simplement réel et il ne faut pas être grand clerc pour anticiper les multiples tensions que cela va générer..."Qui saura quoi sur qui? Qui aura dit quoi sur qui?" Quelqu'un le saura bien. Qui?

Tout comme l'affichage de la volonté de voir appliquer des règles comme le "comportement des élus." Si de soucis existent ou si des attitudes sont ou furent délictueuses, voilà qui relève tout simplement de la justice et du droit. Je me méfie considérablement dans ce domaine de "l'air du temps" qui est bien souvent nauséabond, n'encourage qu'à céder à la facilité et participe à la société de la défiance décrite par le sociologue Philippe Guibert.

Concernant la composition de ce comité, les questions sont également nombreuses. Sur quels critères cela se fera? Qui décidera de l'intégrité de tel ou tel "ancien élu ou fonctionnaire?" Est-ce à dire que les autres doivent être tenus pour suspects? Quelle légitimité pour telle ou telle association de lutte contre la corruption (le mot est terriblement fort et ne fait que renforcer les doutes des citoyens à l'égard des élus) de figurer dans ce comité d'éthique? Au nom de quoi peuvent-elles se prétendre les représentantes d'un quelconque intérêt général? Cela me fait penser à telle ou telle association ou fédération d'associations qui se présentent comme "représentatives" mais qui en réalité ne défendent que des intérêts particuliers.

Il en va de même pour l'idée de "tirer au sort deux représentants des citoyens parmi une liste de volontaires." Mais faut-il rappeler que les uniques représentants des citoyens ce sont les élus qui détiennent seuls la légitimité du suffrage universel. Introduire l'idée qu'il pourrait éventuellement en être différemment est là aussi très "dans l'air du temps." Air du temps" auquel je demande aux élus de résister.


Claude NICOLET

Conseiller régional Nord Pas de Calais

Secrétaire du MRC Dunkerque-Littoral