Ma tribune parue ce jour (lundi 24 novembre 2014), sur le site du Figaro. Je ne reprends pas le titre de la rédaction du Figaro (qui en décide) et qui est réducteur, notamment au regards de l'ensemble des responsabilités à assumer quant au déclin de l'industrie française depuis près de 40 ans.
Ce lundi 24 novembre, le Président de la République François Hollande sera à Florange conformément à son engagement de s’y rendre chaque année. D’autres ont été pris sur l’investissement, sur la recherche métallurgique, sur l’emploi…une loi porte même le nom de Florange, ville symbolique, site symbolique, région symbolique, avec au bout du chemin la victoire du Front national aux élections municipales à Hayange. Longue histoire, long parcours, long chemin de croix que celui de la Lorraine, des régions industrielles, et de l’économie française.
Victime sacrifiée sur l’autel de la mondialisation financière et de la réorganisation mondiale de l’économie.
Florange est une étape supplémentaire de cet infernal Tour de France de la désindustrialisation dont Longwy a longtemps été le symbole. Cette histoire vient de loin, elle est inséparable des grands choix politiques qui furent fait depuis des décennies en France et en Europe.
S’il est un conseil que je peux me permettre de donner au Président de la République, c’est de lire le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement. (10 juillet 2013). (http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-enq/r1240.asp)
Tout y est, décrit par le menu.
Mais la faute d’une telle situation n’en incombe pas uniquement aux responsables politiques. Le patronat porte également une part de responsabilité. « La responsabilité de cette saignée incombait certes largement à la faillite d’un patronat notamment familial mais certains prédisaient aussi, dans le même temps, la disparition d’une forme traditionnelle de la culture ouvrière. » peut-on lire dans ce rapport.
Un peu plus loin, que nous disent les parlementaires, qu’à « partir des années 1980, l’Europe de l’acier ne se manifestera plus qu’au travers de mesures destructrices, fort éloignées de l’esprit qui avait prévalu à la création dela CECA. Ainsi, le Plan Davignon, du nom d’un ancien Vice-président de la commission de Bruxelles, énonçait pour principe l’interdiction à terme de toute aide publique au secteur et la disparition programmée de 250 000 emplois dans la sidérurgie européenne. Le choc aura été particulièrement violent pour la seule sidérurgie française qui a perdu plus de 110 000 emplois entre 1974 et 1995. À partir des premières restructurations des années soixante et soixante-dix, les sites dépendant d’entreprises devenues Usinor, Sacilor, Sollac, Gueugnon, Ugine etc. vont être prises dans un « jeu de pistes » sans fin au fil de restructurations complexes. Des logiques financières et parfois contradictoires ont abouti à créer un paysage qui a légitimement troublé des salariés qui se sont perçus comme les otages d’un Monopoly industriel aux lendemains toujours incertains. »
Sur plus de cent quatre vingt pages, sans compter les annexes et les comptes rendus d’auditions, les députés se livrent à une véritable analyse de la situation. Florange est aujourd’hui le symbole chimiquement pur de l’idée selon laquelle nous pouvions avoir une économie sans usine et que le monde ouvrier était terminé. Leur travail de députés se termine par vingt six propositions chocs pour relancer la sidérurgie et la métallurgie française.
L’une des questions à se poser : pourquoi si peu d’écho ? Pourquoi pas l’appel à la mobilisation générale ? Un rapport parmi d’autres alors que la situation peut-être considérée comme dramatique sur bien des points. Le rapport Gallois ne disait-il pas qu’en se qui concerne l’industrie française, « la côte d’alerte est atteinte » ?
Le Président de la République, aujourd’hui à Florange porte l’histoire et la responsabilité d’une déconstruction qui a des décennies de mise en œuvre en France.
Quel est donc se déterminisme, cette prégnance idéologique, sociale, intellectuelle, politique qui interdit de se dresser et de dire ça suffit ! Rapport de force qui a encore montré toute sa puissance lorsqu’Arnaud Montebourg avait proposé une nationalisation partielle pour tenter de sauver Florange et dont on connait le résultat. Il ne faut guère se faire d’illusion, le bout de se chemin au-delà de l’angoisse de perdre un emploi, de compromettre l’avenir d’une famille, c’est également un puissant sentiment d’humiliation que connaissent celles et ceux qui sont confrontés à ces fermetures. Les hommes et les femmes qui travaillent dans ces usines, souvent très performantes, en sont fières et participent de leur identité, individuelle, sociale, culturelle et collective.
L’ampleur de ce phénomène n’est donc pas sans conséquences sur les résultats électoraux. Les schémas économiques qui président désormais à la mise en œuvre de grands projets industriels, portent en eux une « insécurité » liés à la mise en place de la concurrence généralisée et à l’utilisation des directives européennes des « travailleurs détachés » qui déstabilisent des territoires.
Nous sommes passés du redressement productif, de la reconquête industrielle à la « libération de la croissance » qui n’est jamais qu’une adaptation supplémentaire du tissu économique français dans toutes ses dimensions à la globalisation du libre-échange.
Il faut en donc en finir avec le capitalisme de connivence et de réseaux. Les entreprises françaises ont ainsi appliqué de manière moutonnière les règles de recentrage sur le métier là ou les Chinois et les Allemands continuaient de croire aux vertus du conglomérat. Le repositionnement sur des productions à haute valeur ajoutée est l’un des enjeux majeurs de la mondialisation, tout particulièrement pour nos PME et nos établissements de taille intermédiaire. Mais il faut aller au-delà. C’est à un effort gigantesque que le pays va devoir se livrer pour relancer son appareil productif. Sur la durée et avec une détermination sans faille. Sans industrie, il ne faut pas espérer de services ou de tertiaire puissant.
Comment penser pouvoir séparer la question industrielle de la question des salaires, des cotisations et donc de notre système de protection sociale. Comment imaginer repenser tout cela sans revoir le fonctionnement de l’euro ? La seule approche par la dette publique interdit de prendre en compte l’ensemble de la problématique dans sa globalité.
Victimes de cette histoire, de ces choix pour certains anciens, Florange, ses habitants, les ouvriers d’Arcelor-Mittal accueilleront la visite présidentielle. Si elle honore un engagement pris, il ne faudrait qu'elle deviennent une commémoration où l’on viendrait se recueillir à la mémoire de l’industrie défunte, sur l’autel de la globalisation financière et de l'Europe reconnaissante du sacrifice français.
Claude NICOLET
Premier secrétaire du MRC Nord
Secrétaire national du MRC chargé de la Laïcité et de la Citoyenneté
Conseiller régional Nord Pas de Calais